La corbeille à linge est presque pleine. Elle se tient dans l’allée du jardin et secoue la tête pour ne pas penser à ces six premiers mois de son mariage, de janvier à juin 1960, où elle habitait Soulages. Elle se souvient et ça cogne de tous les côtés. Elle a été enceinte tout de suite, Isabelle est née le 30 novembre 1960, onze mois jour pour jour après leur mariage. Les deux combinaisons, le chemisier, la jupe; elle les dépose sur le dessus de la corbeille; elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé; elle ne sait pas ce qu’elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé; son premier corps, le vrai, celui d’avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s’enfonce.
Les Sources de Marie-Hélène Lafon
Les sources, pas les racines
Pour commencer, Marie-Hélène Lafon précise bien que son dernier ouvrage est un roman.
Il ne s’agit pas d’un récit autobiographique, quoique…
Cependant, l’autrice n’a-t-elle pas attendu la mort de ses deux parents pour lever le voile sur les violences patriarcales subies par sa mère ?
Comment des êtres qui se détestaient tant ont-ils pu donner vie à toute une fratrie ?
Une famille où le soliloque remplace le dialogue
C’est pourquoi la mère rumine sur ce qui a failli, sur ce qu’elle aurait dû faire, dans un flux incessant.
Le personnage central, le père, est décrit comme un patriarche qui imprime sa volonté sur la vie et les sentiments de ceux qui l’entourent.
Véritable tyran domestique, il fait régner la peur autour de lui.
Ils pourraient avoir une bonne vie dans cette ferme, si les choses n’étaient pas comme elles sont, les choses que les gens ne savent pas et ne doivent pas savoir. Elle ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Elle ne sait pas pourquoi et ne cherche pas à comprendre, mais, dans la voiture, le dimanche matin, quand ils descendent, elle rumine sa vie, les sept dernières années, depuis le mariage. Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée, son père dirait fourbue, une vache fourbue; elle rumine et elle attend.
Même le « monstre » a voix au chapitre
Cependant, on découvre aussi les pensées du père lors d’une nuit d’insomnie, jour d’élection de Giscard.
Sans l’excuser, son point de vue est éclairant et lui donne une profondeur supplémentaire.
L’écriture de Marie-Hélène Lafon est à la fois sobre et puissante, évitant les écueils du jugement et de la sensiblerie.
En conséquence, le texte est un plaidoyer vibrant contre les violences patriarcales.
En même temps qu’une réflexion sur les sources de ces violences.
Voire, sur la possibilité d’une réparation.
En conclusion, je remercie l’auteur pour ce roman magnifique né d’un projet de nouvelles qui a finalement pris une autre forme.
Laisser un commentaire