Je suis restée longtemps filiforme et osseuse. Pas de poitrine, pas de formes féminines, zéro volupté.…. Je portais des vêtements de seconde main, des salopettes en velours, des chemises fleuries, des robes souvent trop grandes et des chaussures de montagne en cuir pas très assorties qui donnaient à mon corps frêle un air plutôt comique.
Comment une petite fille comme ça peut-elle attirer le regard d’un homme ? Qu’est-ce qu’il voit quand il la voit ? Qu’est-ce qu’il peut y avoir d’érotique chez un petit être aux genoux croûtés qui n’a pas encore perdu toutes ses dents, qui peut passer une heure à essayer d’attraper des lézards entre les pierres chaudes de l’après-midi ?
L’innocence, c’est ça qu’il y a à voir, la plus pure innocence. Et ce qui attire, c’est peut-être simplement la possibilité de la détruire.
Un héros ambigu
Au commencement, dans « Triste Tigre » de Neige Sinno, nous plongeons dans un récit bouleversant qui expose la tragique réalité d’une enfance marquée par des abus persistants. En effet, l’auteure parvient à transcender les limites imposées par un canevas douloureux, s’engageant avec détermination dans l’expression de sa vérité, au cœur de la littérature.
Au sein de cette œuvre, l’ogre, souvent comparé à toute entité masculine abusive, prend une forme plus complexe sous la plume de Sinno. C’est ainsi qu’il devient un tigre vibrant de vie, un héros ambigu qui sauve autant qu’il détruit. L’histoire se dévoile à travers les yeux de Neige, une enfant qui subit ces abus dès l’âge de sept ans jusqu’à la puberté.
Une agression inexcusable
Cependant, l’ogre, bien que doté d’un charisme puissant, révèle une dualité troublante. Il est soucieux de moralité tout en étant empreint d’une irascibilité insupportable face à la résistance. Il cherche à contrôler la vie d’autrui, imposant des exigences toujours plus oppressantes à Neige, sous prétexte de conquête, dans l’obscurité de leur buanderie.
Neige Sinno naît à Vars le 22 mai 19771. Pendant son enfance et son adolescence dans les Hautes-Alpes, elle subit les viols répétés de son beau-père. Plainte sera déposée en 2000 : il est condamné à neuf années d’incarcération. Neige Sinno soutient une thèse sur la littérature anglophone, notamment autour des œuvres de Raymond Carver et Richard Ford (2005). Ensuite , études aux États-Unis et au Mexique. Sinno collabore avec Edmond Baudouin. Puis, enseignante vacataire à l’université, et travaille comme traductrice. Elle vit au Mexique avec son compagnon. En 2023, elle remporte le prix littéraire du Monde pour Triste Tigre.
Malgré son innocence persistante, Neige saisit avec clairvoyance l’injustice de ces actes. Elle ressent l’interdit, la transgression inexcusable de cet homme. Toutefois, elle est également consciente des conséquences déchirantes qu’une dénonciation pourrait engendrer pour sa famille recomposée.
Une rare honnêteté
Aujourd’hui âgée de 44 ans, l’auteure a trouvé la force de se reconstruire loin de la France. Son récit résonne toujours avec une émotion singulière. Elle dévoile son caractère façonné par cette expérience, avec ses facettes lumineuses et obscures, dans une rare honnêteté.
« Triste Tigre » de Neige Sinno est bien plus qu’un témoignage, c’est un cri d’humanité face à l’indicible. L’œuvre nous invite à la réflexion sur la résilience, le pouvoir de la parole et la force nécessaire pour affronter les démons du passé. Une lecture qui laisse une empreinte indélébile dans l’âme du lecteur.
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