Alors que le festival d’Angoulême se prépare aux diverses polémiques qui vont l’agiter (nous en reparlerons), le réseau FNAC, fort de ses centaines de libraires passionné-e-s, a élu pour la troisième fois son album favori. En 2014, c’était Tyler Cross t.1, western goguenard et déjanté de Brüno et NuryUn océan d’amour, feel-good BD sans texte au graphisme spectaculaire, signée Lupano et Panaccione. Pour cette année, c’est un album qui faisait déjà l’unanimité qui a gagné le prix, Le grand méchant renard, de Benjamin Renner.
Le renard aimerait bien être grand et méchant. Manger des poules, faire peur au chien de garde, être respecté. Malheureusement, il est petit et malingre, les poules se moquent de lui, le chien le salue comme une occupation passagère, et personne ne le voit comme un prédateur (sauf les navets offerts par un cochon ayant pitié de lui). Alors qu’il plonge au fin fond de la déprime, il croise le chemin du grand méchant loup (qui en impose, lui), et ils échafaudent un plan machiavélique : profitant de l’absence de vigilance des poules et du chien à son égard, le renard va aller piquer quelques oeufs, les faire éclore, nourrir les poussins, et dès qu’ils ont atteint une taille respectable, hop ! Ils les bouffent ! Un plan imparable. Ce que le renard ne sait pas, c’est que les poussins, dès la sortie de l’oeuf, considèrent la première personne qu’ils voient comme leur mère. Et dès lors qu’ils l’ont appelé « maman », c’en est fini de lui, plus jamais il n’arrivera à les becqueter…
Benjamin Renner nous vient de l’animation, certes, mais il avait déjà signé une BD (sous le pseudonyme de Reineke) dans la même veine, Un bébé à livrer (que Vraoum a eu la grande idée de rééditer pour profiter du succès tout neuf de son auteur). De son dessin enlevé et parfois minimaliste, il croque avec une économie de moyen les gueules et les attitudes les plus loufoques de ses personnages. Mais ne confondons pas simple et simpliste : la rigueur de la narration est bien là, malgré l’absence de cases délimitées et la dilatation de l’histoire (sur près de 200 pages), l’ambiance est réellement jubilatoire, mais la tendresse est sous-jacente, toujours en embuscade et près de vous tirer les larmes.
Car sous la trogne impayable du renard et de ses bambins (les trois poussins, non contents de chambouler la vie de leur père adoptif, se prennent évidemment pour des renards, et pensent donc être des prédateurs !), se cache de vrais moments touchants, avec cet équilibre et cette affection pour les personnages que l’on ne retrouve que trop rarement en BD. Dans la veine des meilleurs films de Pixar, qui allient avec bonheur humour et émotion, le public qui saura apprécier cet ouvrage est des plus larges (de 7 à 77 ans, pourrait-on dire).
Le grand méchant renard, pour rappel, faisait partie de notre sélection de rattrapage de l’été, et était le coup de cœur absolu de mon comparse Grégory pour l’année 2015 (ce garçon ira loin). Mais il n’était évidemment pas seul en lice, puisque les libraires FNAC (France, Suisse et Belgique) avaient sélectionné 30 titres pour cette cuvée 2016 ! Parmi eux, des incontournables (L’arabe du futur t.2, Le chat du rabbin t.6, Le rapport de Brodeck t.1, Corto Maltese t.13, Les vieux fourneaux t.3…), mais aussi des bouquins plus intimistes (Alvin t.1, Deux frères, Le piano oriental, Roi ours, L’essai, Le sculpteur…), dont pas mal de titres chroniqués ici (dont Stern, par deux fois !) ! Et coupons court à la polémique angoumoisine : 3 titres écrits et dessinés par des femmes étaient dans la sélection, dont 2 parmi les 6 finalistes… Pas encore la panacée, mais la reconnaissance est bien là !
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