Quatre années après Portugal, voici le nouveau monumental roman graphique de Cyril Pedrosa.
Portrait croisé de personnages fort différents, Les équinoxes est une réflexion subtile sur ce qui pourtant les rapproche. La solitude, la mélancolie, cette réflexion biaisée sur l’existence, et parfois un brin de fatalisme… Mais, perdu au milieu de ces fissures, on trouve surtout l’espoir, et les surprises de l’existence, qui évidemment interviennent lorsqu’on les attend le moins.
Pedrosa a perdu depuis bien longtemps son image de petit rigolo. À l’instar d’un Larcenet, qui se fit connaître par ses histoires déjantées dans Fluide Glacial, puis s’imposa avec des œuvres de plus en plus sombres (Le combat ordinaire, puis Blast, puis Le Rapport de Brodeck), Pedrosa a gentiment percé avec Ring Circus et son Shaolin Moussaka, puis a explosé avec son splendide Trois ombres (chroniqué par mes soins ici-même), et a continué de front ses chroniques humoristiques (Auto-Bio) et ses ouvrages dits « sérieux » (Portugal et Équinoxes, donc). L’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui est la preuve définitive qu’un bon auteur n’est rien sans un bon éditeur (ici, Dupuis et sa prestigieuse collection Aire Libre). Pouvoir publier tel quel un pavé de 320 pages, tout en couleurs, à près de 50.-, ce n’est pas donné à tous les auteurs. Mais le succès de Pedrosa vient de sa singularité, cette narration ample et naturelle, qui oscille entre la tendresse qu’il voue à ses personnages et la nostalgie qui imprègne souvent leurs pensées. Il s’attache ici à raconter des vies, des morceaux d’existences, qui vont parfois se croiser, parfois se heurter, et formeront à terme une mosaïque universelle. D’une photographe larguée à un ancien syndicaliste fataliste, d’un père divorcé et hautain à la fermeture d’une usine et le combat social qui s’ensuit, le panorama de ce monde dessiné ressemble étrangement à celui que l’on peut croiser chaque jour en lisant le journal, en regardant la télévision ou plus simplement en ouvrant sa fenêtre.
Pour raconter ces vies, Pedrosa use de son arme fatale, un dessin toujours aussi ahurissant. Plus mature que Portugal, plus varié aussi, il profite de la palette unique de son auteur. La fable muette du petit garçon de l’âge de pierre pourrait faire un chouette livre jeunesse. Le récit écrit et illustré de la photographe pourrait composer une nouvelle de première bourre. La longue déambulation des deux frangins dans la montagne, avec ses inspirations graphiques spectaculaires, serait un bien bel album. Mais le choc vient de cet enchevêtrement, ce tissage de styles, d’ambiances, de dialogues visuels, de narrations. Car tout fonctionne mieux mis en perspective avec les pages précédentes et suivantes. Les questionnements d’une ministre en crise face à des zadistes prennent une autre ampleur lorsqu’ils sont placés juste après les discussions de deux anciens qui l’ont connue en culottes courtes…
Pedrosa, une fois encore, embarque son lecteur l’air de rien. Plus nuancé que Portugal, moins métaphorique que Trois ombres, il créé une œuvre dont la profondeur paraît difficilement sondable en une seule lecture. Un ouvrage à lire, à relire, à offrir et à faire découvrir, absolument.
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