No Sleep Till Shengal
Les premiers jours de février ont apporté un nouvel album de l’artiste Zerocalcare, toujours chez Cambourakis! Vous le connaissez certainement pour son album Kobane Calling et bien voici à nouveau une BD reportage. Si le premier documentaire dessiné parlait des Kurdes de Kobané, dans sa seconde enquête, Zerocalcare s’est rendu en Irak au printemps 2021, pour témoigner de la situation des Ézidis de Shengal. Sur le même sujet, je ne peux que vous inviter à suivre les conseils de Luc.
Zerocalcare est LA star de la Bande-dessinée italienne, qu’on appelle là-bas Fumetti. Issu du Punk, des Fanzines et des milieux alternatifs de la banlieue de Rome, il dessine des affiches de concerts, tient un blog et illustre de nombreux articles de journaux. Un punk qui dessine en Noir Blanc et qui pose un regard à la réalité poétique sur les luttes de toute une génération d’Italie, vous pensez bien que j’ai littéralement craqué! Son parcours, les sujets traités, sa façon de relater ses voyages dans des pays en guerre, sa passion pour la musique et ce petit côté Underground m’a fait immédiatement pensé à Joe Sacco. Et si vous me suivez un peu, vous connaissez mon admiration pour Joe.
Mais revenons à l’artiste en question et à No Sleep Tille Shengal.
Une BD documentaire, qu’il a conçu au retour d’un séjour en Irak, afin de mettre en lumière la situation critique de la minorité yézidie, aspirant à l’indépendance et qui met en place des principes de vie démocratique extrêmement avant-gardiste. On y retrouve son mélange unique de témoignages poignants et précis et son humour salvateur qui ne cesse d’interroger le rôle et le regard de l’Occident au Proche-Orient.Les Ezîdîs, ou Yézidis, sont une minorité religieuse et ethnique à qui le terme Survivant convient le mieux. Victime de génocide et contraint à la diaspora, cet acharnement dure depuis (trop)longtemps, Saddam ne fut pas reste, mais c’est Daesh qui fait preuve de la plus grande cruauté à l’égare de cette communauté. Grosse mention à l’horreur de 2014. Si une bande-dessinée ne remplacera jamais un livre d’Histoire, celle de Zerocalcare a le mérite de témoigner de la situation des Ézidis de Shengal de nos jours. Dans cette enclave dont l’autonomie est sans cesse remise en question, les Ézidis s’efforcent de mettre en œuvre les principes du confédéralisme démocratique kurde, à commencer par la libération des femmes, la coexistence entre les peuples et l’autodéfense. Pris en étau entre les diplomaties irakienne et turque, qui souhaitent toutes deux la disparition de cette entité, les habitants de Shengal subissent encore des bombardements incessants. Ce sont leurs combats, leurs questionnements et l’actualité de leurs luttes que Zerocalcare met en lumière, soucieux d’accompagner une résistance qui s’efforce de survivre dans l’indifférence assourdissante de l’Occident.
Avant Shengal, Kobane
2015, envoyé par l’Internazionale, le « Courrier International » italien, Zerocalcare part aux confins de la Turquie, de l’Irak et du Kurdistan Syrien pour rejoindre la ville de Kobane. Il va y rencontrer l’armée des femmes kurdes, en lutte contre l’avancée de l’Etat Islamique. A partir de ce voyage, Zerocalcare livre un reportage d’une sincérité poignante Kobane Calling, un témoignage indispensable et bouleversant qui s’efforce de retranscrire la complexité et les contradictions d’une guerre si souvent simplifiée par les médias internationaux et le discours politique. La puissance de l’artiste réside dans son ton à la fois drôle et touchant et sa force réside dans sa capacité à interpréter le quotidien, les craintes et les aspirations de toute une génération. Réédité en 2019, la nouvelle édition s’enrichit d’une trentaine de planches inédites rendant compte des développements récents de cette guerre dans une région du monde malheureusement toujours en prise avec de nombreux conflits. Et elle interroge le sort des volontaires internationaux venus y combattre aux côtés des Kurdes : ceux qui sont morts sur place comme ceux qui sont rentrés dans leur pays.
Un poulpe, un Tatou et un Télétubbies
Si les albums reportages de Zerocalcare sont géniaux, il ne faut surtout pas passer à côté de ses autres parutions, plus personnelles. En effet, c’est ce qui a fait la réputation de l’artiste, c’est sa capacité à livrer des récits introspectifs, amusants, cyniques oui, mais d’une lucidité merveilleuse sur notre société!
Trentenaire romain, Zerocalcare appartient pleinement à la génération 2.0 : il tend à se confiner derrière un écran d’ordinateur qu’il ne quitte que pour rejoindre un cercle d’amis assez fermé avec qui il partage une passion pour la culture geek : de Alf, à Star Wars, en passant par Street Fighter. Mais sa véritable passion, c’est Camille, son amour de toujours. Elle vient de mourir et Zerocalcare, peinant à prendre conscience de cette perte, ne sait comment l’annoncer à ses proches.
Accompagné de son fidèle ami imaginaire le Tatou, Zerocalcare entremêle dans cet album flash-backs adolescents permettant de retracer l’histoire de son amitié avec Camille et péripéties de sa vie quotidienne oscillant entre petites galères, embrouilles avec ses voisins, et nostalgie des dinosaures.
Mon préféré de l’artiste. Certainement parce qu’il y parle de sujets très personnels avec beaucoup d’ironie et qu’il s’y montre fragile. Revenant sur trois périodes marquantes de sa jeunesse, Zerocalcare offre un émouvant roman graphique de formation émaillé de divers mensonges, tragédies et secrets plus ou moins marquants. De la recherche de modèles auxquels s’identifier au douloureux apprentissage du compromis en passant par la maladresse face aux jeunes femmes et le sentiment de culpabilité que l’on éprouve inéluctablement suite aux déceptions que l’on suscite, Zerocalcare revisite avec un mélange d’empathie et d’ironie ces années fondatrices pour chacun d’entre nous.
Un récit en deux tomes qui se penche cette fois sur la vie de Zerocalcare depuis qu’il a du succès. Il a le sentiment de ne plus avoir de prise sur sa vie et de perdre de vue ses amis. En atteste le mariage de Sanglier, qu’il apprend au dernier moment, réalisant qu’il ne l’a pas vu depuis près d’un an… Zerocalcare dresse de lui-même un portrait sans concession. Entre la crainte de décevoir ses lecteurs, ses proches et le poids des responsabilités, il rend compte des problèmes rencontrés par toute une génération, celle des plus de trente ans, qui se trouvent confrontés tous les jours aux nuances les plus diverses de la précarité de l’existence. Pour un auteur de BD à succès comme lui, combien d’étudiants brillants qui ne trouvent pas de travail ? Mais comme toujours chez lui, le misérabilisme est exclu. Son humour salvateur l’emporte et l’amitié s’impose en valeur cardinale.
Des phylactères à l’animation
On le sait tous, l’algorithme de la chaine qui fait Toudoum n’est pas des plus raffiné. Il a tendance a nous proposer des trucs dont on se fout royalement alors que son catalogue regorge de pépites. « A découper suivant les pointillés » est une pépite de six épisodes d’à peine 20min chacun et elle est signée Zerocalcare! Une mini série d’une tendresse folle qui vous fera rire et réfléchir. Un voyage de Rome jusqu’au Nord de l’Italie, entrecoupé de Flashback ingénieux qui finissent par former un puzzle amusant et touchant!
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