5 ans que Winshluss, a.k.a.Vincent Parronaud, ne nous avait rien servi. En BD tout du moins, puisqu’il réalisait le Film Hunted en 2020. D’accord, on ne peut pas dire qu’il n’a « rien » fait mais en dessin, il nous manquait. Le voici de retour avec J’ai tué le soleil et pour les fans c’est une très bonne nouvelle.
J’ai tué le soleil
« Le seul problème est de savoir comment utiliser ses névroses » Arthur Adamov
Avec pour seuls bagages un sac à dos et un fusil, un homme marche en quête de nourriture. Jour après jour, alors qu’il paraît seul au monde, Karl tente de survivre dans une nature belle mais sauvage. Sa blessure à la tête est sans doute la cause de son amnésie. Il avait pourtant un projet. Un projet qui devait le faire entrer dans l’histoire…
Winshluss s’approprie avec brio les codes du récit survivaliste pour mieux le dynamiter, et joue d’une mémoire recomposée dans une narration virtuose. La violence est là, l’humour jamais très loin, le plaisir de lecture omniprésent.
L’auteur alterne les planches muettes ; aux dessins qui se suffisent à eux-mêmes et textes secs, puissants, le tout instaure brillamment une atmosphère oppressante.
Avec J’ai tué le soleil, Winshluss confirme, s’il en était besoin, sa place d’auteur essentiel dans la bande dessinée contemporaine.
Winshluss trace depuis bientôt vingt ans une trajectoire bien singulière.
Quelque part entre Walt Disney, Tod Browning et Vuillemin, il a fantasmé des supermarchés, des parc d’attractions, des musées, des films de zombies, des studios d’animation. Il les a pervertis et magnifiés dans un même élan. Autodidacte et touche à tout, des galeries parisiennes, en passant par la cérémonie des Oscars, il traverse les milieux tel un monsieur muscle de fête foraine, tordant les médium sur la place publique, faisant se rejoindre les extrêmes, le joyeux et le cynique, le foutraque et la cohérence, le populaire et l’underground. Winshluss est avant tout l’auteur phare des Requins Marteaux. Dessinant depuis les années 80, il est reconnu avec Pinocchio pour lequel il reçoit le Fauve d’Or en 2009. En 2016, c’est le prix Pépite d’Or du meilleur livre jeunesse qu’il reçoit pour Dans la forêt sombre et mystérieuse : son seul album qui finit bien. Parce que son fils aime les histoires qui finissent bien… Cinéma, bande dessinée, dessin animé, musique, art contemporain, spectacle vivant, presse… difficile de trouver un domaine dans lequel il ne se soit pas aventuré. Pourtant, si son œuvre est vaste et hétéroclite, elle n’est pas des plus visibles. Winshluss aime l’ombre et la tranquillité et c’est surement un des ingrédients qui fait la réussite de ses créations
Monsieur Ferraille
Les Requins Marteaux publient le journal Ferraille pour représenter leurs auteurs. Nous sommes en 1996 et 27 fanzines plus tard voici une compilation non exhaustive des aventures du robot cynique, Monsieur Ferraille. Si le fanzine voit collaborer une trentaine d’auteurs, ce sont Winshluss et Cizo qui sont coupables de la création de Monsieur Ferraille et son ami Bob. M. Ferraille n’a pas de morale, c’est un grand séducteur et a tendance à entraîner le pauvre Bob dans des aventures dramatiques. Un esprit décalé, une contestation de la société de consommation : un coup de boule salvateur dans les poncifs de la bande dessinée populaire !
Pinocchio
La trame est la même que dans le roman de Collodi, cependant l’intrigue est modernisée : on retrouve ici un Pinocchio bien loin du gentil garçon qu’en a fait Walt Disney. Avec Winshluss, le pantin de bois se transforme en androïde conçu par un ingénieur en mal de reconnaissance. Jiminy Cricket devient un cafard SDF qui squatte la boîte crânienne du petit robot. Winshluss maltraite les codes de la bande dessinée populaire et les références cinématographiques avec virtuosité. Il transforme les clichés les plus éculés en formes narratives éminemment modernes. Mais toute la force du travail de l’auteur réside dans son traitement graphique et dans la colorisation de Cizo. Outre un dessin très expressif, Winshluss fait preuve ici d’une maîtrise insolente du récit muet. Ce livre imposant, prouve qu’il est un des auteurs de bande dessinée les plus virtuoses et les plus intéressants de sa génération et le Fauve d’Or 2009 reçu pour cet album n’est pas la pour le contredire.
Dans la forêt sombre et mystérieuse
Angelo, jeune apprenti aventurier féru de zoologie, prend la route en famille pour rendre visite à sa mémé géniale qui est très malade. Mais sur l’aire d’autoroute où ils s’arrêtent, ses parents l’oublient et repartent sans lui ! Terrorisé, Angelo décide de couper à travers la forêt, où il se perd tout à fait… Sa rencontre avec de fascinantes créatures, de la luciole obèse à l’ogre terrifiant, vont faire de son singulier périple une aventure fantastique. Un album comme un véritable conte bourrée d’humour et de clins d’œil où Winshluss laisse de côté son ton subversif sans pour autant se trahir. Il tord les références de nos classiques et se montre cruel mais pas violent, cynique mais pas immoral et l’auteur propose pour la première fois un Happy End!
In God we Trust
Je ne peux pas terminer cet article sans vous parler de cet album….
Après s’être attaché à déconstruire Pinocchio, Winshluss s’attaque au livre de contes et de légendes le plus lu au monde : la Bible. Un narrateur extérieur, Saint Franky, guide le lecteur, en portant une vision particulièrement acerbe, à travers les différents épisodes marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament. Tout comme Pinocchio investissait les multiples parties de l’âme humaine, In God We Trust s’attelle à envelopper la Bible de plusieurs auras. Allant de la parodie du comic à la tragédie adultérine, en passant par une étude sur la disparition des dinosaures, la densité du livre ne laissera au lecteur aucun répit. Ponctuées d’anecdotes inédites, les fabuleuses aventures de Dieu narrées par Winshluss nous en apprendront plus sur ce mystérieux personnage. Véritable voyage spirituel, In God We Trust, apparaît comme une grande épopée où le dessin, majestueux, oscille entre planches de bandes dessinées, gravures, fausses publicités et aquarelles. A la fois didactique et moqueur, Winshluss s’amuse beaucoup et nous avec!
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