Les éditions AAARG! sont nées de l’envie des créateurs de Même Pas Mal de lancer un magazine de BD différent. Après 11 numéros, celui-ci tire sa révérence en tant que bimestriel vendu en librairie, et deviendra un mensuel vendu en kiosque et maison de presse. Mais AAARG! a aussi publié de chouettes livres et BD, et dernièrement, ce BORB, petit objet improbable et essentiel…
Borb est un clochard, un bonhomme hirsute et hors du temps comme on en croise à tous les coins de rue. Lourdement alcoolisé, difficilement assimilable dans notre bonne société, il traine ses guêtres dans les coins paumés de New York, profitant un peu des aides sociales et vivant beaucoup des déchets de ses semblables…
Jason Little est un auteur encore peu connu en Europe, mais il a pourtant bénéficié de deux publications aux éditions Akileos (Motel Art Improvement Service & Shutterbug Follies). Son univers est dans la droite lignée des travaux de Burns ou Clowes, en ce sens qu’il utilise avec vigueur un graphisme indépendant et des délires flirtant avec le fantastique pour mieux parler de son environnement. BORB va dans l’épure la plus totale, et revient aux origines du récit en image : entre le comic strip et le slapstick, voici l’histoire d’un pauvre gaillard dont on découvre la vie, la chute, et ce combat progressivement abandonné de vivre son existence comme il l’entend. Compilé dans un petit livre étonnamment bien pensé (le format est passé de 10×22 cm à 14×17 cm), et ingénieusement traduit et adapté par Léa Guidi, le parcours de Borb oscille entre le sordide, le touchant, le franchement drôle (même si un brin cruel)… ; une sorte de petit coup de pied au cul de bon aloi en cette approche des fêtes de Noël.
Le graphisme de Little retrouve cette sobriété que la couleur lui faisait un peu perdre dans ses précédents ouvrages. Simple sans être simpliste, le découpage et le dessin de ce bouquin sont des exemples d’efficacité, et ne laissent aucune place aux fioritures. Réponse, peut-être, à cette ascèse imposée au pauvre Borb, lui qui vit de la fouille des poubelles, d’alcool frelaté, et de temps à autres, d’une conserve glanée ici ou là. Son style, en tout cas, lorgne autant vers Krazy Kat que vers les planches crades ou glaçantes de Joe Matt ou Chester Brown, et conserve la dynamique de l’un et le naturalisme des autres.
Borb est de ces livres qui passent facilement inaperçu : de petit format, sorti peu avant les fêtes (et donc planqué dans un coin, par manque de place), causant d’un sujet aride (la clochardisation, la disparition sociale), il est pourtant aussi nécessaire que réussi. Entre drôlerie grinçante et constat ulcérant, voici la vie d’un type dont le seul tort est de vouloir mener sa vie comme il le désire, se bat pour survivre au quotidien, et finit par en crever. En ces heures difficiles, il est parfois bon de se tourner vers ceux qui sont là, dans les angles morts de notre cité, que nous ne voyons plus, et qui pourtant vivent.
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