Çà et Là a encore frappé ! La petite maison d’édition française, qui vient de fêter son dixième anniversaire, continue d’éditer ses auteurs fétiches, et John « Derf » Backderf est de ceux-là. Après Mon ami Dahmer (primé à Angoulême en 2014) et Punk Rock et Mobile Homes (chroniqué par mes soins), cet ancien journaliste américain bien barré nous raconte par le menu son expérience d’éboueur, et bien plus encore…
JB est un jeune glandeur comme on en croise tant : ronflant jusqu’à pas d’heure, ronchonnant à la seule idée de ranger sa piaule ou d’aller balancer les poubelles… Mais sa mère en a marre ; il décroche donc son téléphone, et accepte un boulot à la voirie sans même demander de quoi il s’agit. Éboueur, bien entendu… Il va redécouvrir sa ville, son monde, par le biais des ordures, et c’est encore plus moche qu’on ne le croit !
Éboueur, alias rippeur, pour faire joli sur le CV, c’est un boulot d’étudiant, un truc plutôt bien payé, mais franchement ragoutant. Backderf prend le parti de l’autofiction, mélangeant ses propres expériences (remontant aux années 80, mais comme il le dit, les choses n’ont guère bougé depuis lors) à des infos ou des histoires glanées de ci, de là. Cette chronique déglinguée d’une Amérique qui consomme, c’est un peu l’envers du décor, ce que le rêve américain nous cache. Mais ne nous y trompons pas : c’est partout pareil. Nous trions nos déchets, nous les réduisons autant que possible ? Parfait, mais une énorme partie continue d’aller remplir les décharges ou les incinérateurs. La mode du tout-jetable a un coût, qui est dévoilé dans toute sa laideur au travers de ce joyeux chaos. Joyeux, car Backderf ne fait jamais le donneur de leçon : ses éboueurs sont des gaillards moins lourds qu’ils n’en ont l’air, qui font un boulot pourri avec la bonhommie et le recul qui va sauver leur santé mentale. C’est drôle, c’est grinçant, c’est parfois pathétique ou touchant, et ça fait de ce bouquin une lecture aussi édifiante que déroutante.
La constante, mis à part cet humanisme et cet amour des marginaux qui animent l’auteur ? Un dessin toujours aussi déglingué, servi par une mise en page frontale, sans fioriture, mais qui gagne d’autant en efficacité. Forcément inspiré de ses augustes prédécesseurs (évidemment Crumb et Shelton, mais aussi Peter Bagge), Backderf possède ce style qui fait passer outre toutes les erreurs, toutes les bizarreries, et plie la réalité à son regard : ses personnages sont présents, palpables, même s’ils sont des caricatures déconnantes.
Trashed, c’est une fois encore un bonheur consommé de lecture, amené par les soins de Çà et Là en un temps record (le livre ne sortira que courant novembre en anglais !), et impeccablement traduit par Philippe Touboul. Une nouvelle réussite !
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