Mini-série prestigieuse de Scott Snyder (qui a repris Batman avec Capullo et un talent monstre), The Wake est l’un des évènements de l’année 2014 aux USA : prix Eisner de la meilleure mini-série, mais aussi prix Eisner du meilleur dessinateur… Car si Snyder est l’architecte, Murphy est un monstre graphique. Portrait d’un bouquin hors norme !
Lee Archer, scientifique spécialisée en biologie sous-marine, et notamment en cétacés, vit séparée, et galère sur son navire à des milliers de kilomètres de son fils. Elle est recrutée pour un travail ultra-confidentiel lié à des enregistrements sous-marins qui semblent dévoiler une forme de vie inconnue jusqu’alors… Mais son arrivée sur place lui réserve plusieurs surprises : non content de lui avoir caché des détails vitaux, son nouveau boss lui présente le reste de l’équipe, composée de vieilles connaissances, et pour certains, de francs ennemis.
Composée de deux grandes parties, cette histoire boucle sur plusieurs thématiques, mais principalement sur les origines : on découvre en effet au fil des pages les origines de la fascination d’Archer pour la mer et ses habitants. On découvre aussi, évidemment, qui est cette créature sous-marine, incarnation fascinante et létale de la sirène des légendes. On découvrira également, à grands coups de sauts dans le temps, ce qu’il advient de l’humanité, d’où elle vient, dans quel but… Une ambition démesurée, pour un auteur encore jeune (il n’est pas scénariste depuis 10 ans), surtout sur un script limité à 10 épisodes de 22 pages. Mais Snyder, avec cette morgue d’adolescent qui agace et séduit, embarque son lecteur dans un concept déglingué, qui n’arrête jamais de bouger, et trimballe tout ce beau monde de typhon en sous-marin, de danger de mort en apocalypse maritime, de combats contre des humanoïdes hypnotique à des bastons homériques à dos de dauphin génétiquement modifié. Too much, direz-vous ? Oui, il faut bien le dire. Mais tellement fun !
Un scénar aussi barré, sous un ton parfois sérieux, aurait pu buter sur un dessin tiède. Mais Sean Murphy ne sait pas faire, la tiédeur. Après avoir giflé ses lecteurs avec son jubilatoire Punk Rock Jesus, et avoir illustré avec fougue les songes de Grant Morrison sur Joe, l’aventure intérieure, le voilà qui met en scène les origines et la fin de l’humanité, rien de moins. Avec son trait nerveux, son encrage haché et claquant, il renvoie dans les cordes nombre de ses aînés, et mérite allègrement les éloges dont il est couvert depuis maintenant plusieurs années. Une maturation artistique aussi rapide en ferait une sorte de génie, si ce terme ne semblait pas si galvaudé. Voilà en tout cas un travail graphique redoutable d’efficacité, qui n’hésite pas à partir dans le grandiloquent, mais retourne aussi avec aisance à une échelle plus humaine.
Les couleurs, signées Matt Hollingsworth (un routard des couleurs, qui a œuvré sur des titres aussi forts que Hellboy, le Catwoman de Darwyn Cooke ou encore The Filth, de ce grand malade de Morrison) ne sont pas pour rien dans la réussite graphique de The Wake : sans aller vers une épure trop marquée, Hollingsworth réussit à donner de la matière aux grands fonds marins, et ne dénature jamais le dessin hallucinant de Murphy.
Un mot, enfin, sur l’édition française ; Urban, comme à son habitude, nous soigne, avec un volume carré, imprimé sur un papier glacé (mais pas trop), une traduction de qualité signée Jérôme Wicky, et des bonus de fin de volume fort intéressants (notamment des croquis préparatoires de Murphy, une pelletée de covers, dont les variantes souvent magnifiques), bref, n’en jetez plus : Urban fait du Urban, et on n’en demande pas plus !
Des mêmes auteurs :
Laisser un commentaire