Alors que l’on fête à droite et à gauche, le centenaire du début des hostilités de la Première Guerre Mondiale, Futuropolis en profite pour rééditer l’un de ses plus grands succès publics et critiques de ces dernières années.
Notre mère la guerre, car c’est bien de cette saga qu’il s’agit, est le fruit du labeur de Christophe « Kris » Goret, déjà remarqué pour Coupures irlandaises ou encore Un homme est mort, et de Martin « Maël » Leclerc, qui avait fait parler de lui avec Dans la colonie pénitentiaire, mais aussi L’encre du passé.
Si les BD sur la seconde guerre mondiale sont légion, celles sur la première sont assez nombreuses, et pour certaines, référentes (Putain de guerre, Dix de der, Matteo…). Difficile donc de se refaire une place, quand on a l’impression que tout a été fait et dit. Kris choisit donc un angle différent, celui de l’enquête policière, et imagine un gendarme envoyé dans les tranchées pour résoudre une série de crimes mystérieux, ayant coûté la vie à trois jeunes femmes. Si le côté absurde de la situation (diligenter une enquête en bonne et due forme sur le front, là où chaque jour meurent des centaines de soldats) interpelle, il n’en est pas pour autant irréaliste, et les auteurs insistent sur l’idéalisation de ce conflit, le décalage constant qui se créé entre la réalité de la guerre, sale, besogneuse, cruelle, et le romantisme dans lequel baigne l’arrière pays, protégé, planqué, comme disent les survivants… Il n’est donc pas totalement fou d’imaginer un haut gradé trouvant plus important de lancer une enquête criminelle là où il envoie chaque jour ses poilus se faire dézinguer à la pelle.
L’autre grande réussite de cette saga, ce sont évidemment ses personnages, humains, touchants et crédibles à en pleurer. Vialatte, gendarme vaguement lâche et inconscient, qui prend ses responsabilités tandis que la guerre avance, mais revient sans cesse sur cette enquête interminable, qui lui renvoie au visage son grand amour, Eva, cette autrichienne qu’il a du renvoyer chez elle pour leur éviter à tous deux suspicion de trahison, et prison. Car la Femme est partout, dans Notre mère la guerre. Le titre, l’enquête, les souvenirs de Vialatte, l’enquêteur, Janvier, son supérieur, mutilé dans son intimité, et dont l’amour platonique est l’une des victimes du tueur en série…
Et enfin, si on doit souligner une cohérence implacable, c’est bien celle du dessin et du sujet. Car Maël consent à ne jamais réellement séduire, d’un dessin anguleux et en demi-teinte, sans pour autant détonner. Ses personnages sont des gueules cassées, et si ça n’est pas visible physiquement, c’est leur psyché qui est cabossée. Les décors sont éclatés, démolis, accidentés, le ciel est gris, sali, et les morts jonchent les tranchées et les pages. Rien n’est facile, rien n’est beau, et c’est un exploit de réussir à concerner autant le lecteur sans pour autant l’écœurer.
Bref, en un mot comme en cent, Notre mère la guerre est surement le cycle majeur de ces dernières années sur ce conflit, car en parlant d’une série de meurtres, en allant fouiller dans le passé des personnages, en mettant à jour les vilains secrets des uns et des autres, les auteurs parlent de cette sale guerre, que tout le monde détestait, mais qu’il fallait continuer, pour que tout ça n’ait pas été vain…
Et profitez de cette intégrale, qui ne sera a priori pas rééditée ! L’objet est beau, le prix est plaisant, et le contenu a un goût de classique instantané…
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