À part rééditer les vieilles gloires de leur fonds de catalogue, comme l’Incal ou la plupart des anciennes séries de Jodorowsky, on ne peut pas dire que Les Humanoïdes Associés ont enthousiasmé le petit monde de la BD ces dernières années. Mis à part quelques perles comme Cité 14 (superbe serial rétro, précédemment publié chez Paquet) ou La légende des nuées écarlates (dont un second cycle démarre ces jours-ci), cet ancien éditeur d’importance a rejoint la cohorte des indépendants dont la production stagne entre 15 et 20 nouveautés par an. Mais de temps à autre, un coup de cœur de l’un ou l’autre des éditeurs maison (ici, probablement Jerry Frissen, responsable de la défunte collection Lucha Libre) nous apporte une création ou une traduction d’envergure.
Et c’est bien de ça que nous parlons. Minimum Wage, joli succès critique et public des années 90 chez Fantagraphics, reprend sa publication chez Image Comics après un hyatus de 15 ans, par la volonté de Robert Kirkman (Walking Dead, Invincible), grand fan de la série. Il signe d’ailleurs la préface de cette édition complète du premier cycle. Bob Fingerman, auteur méconnu par chez nous, mais indépendant versatile aux USA (il a aussi bien travaillé sur Les Tortues Ninja que dans la BD porno, non sans faire quelques passages au sein de DC ou Marvel), a mis beaucoup de lui-même dans cette série, travestissant les noms, mais laissant suffisamment de détails pour que l’on sache de qui il s’agit.
Minimum Wage, que l’on traduira par Revenu Minimum, c’est la chronique de la vie quotidienne d’un groupe d’artistes ou de semi-marginaux dans le Brooklyn de la fin du XXème siècle, et plus précisément d’un petit couple composé d’un dessinateur freelance de BD porno, et d’une coiffeuse un poil punkette sur les bords. Leurs amis, tous à moitié allumés et franchement névrosés, sont plus qu’un simple décorum, et questionnent constamment leur rapport au sexe, à l’amitié, à l’argent, bref, à la vie.
Difficile donc de résumer une telle somme, surtout avec une suite à venir, mais on sent une filiation directe avec les travaux d’auteurs tels qu’Alex Robinson (De mal en pis, Derniers Rappels) par leur aspect choral et l’humanité qui transpire de chaque page. Fingerman, de son côté, assume bien plus son côté marginal et déconnant, et ses personnages ont une vie sexuelle très active, ce qui peut surprendre (rien de pornographique, ceci étant dit, mais ce n’est pas un concours d’oies blanches).
Sous un graphisme rondouillard se cachent des trésors de subtilité et de débrouillardise, car si Fingerman n’est pas un dessinateur réaliste ou pointilleux, il adapte à son style tous les éléments qu’il souhaite incorporer à ses histoires : de la vieille actrice porno obèse à l’hygiène douteuse, au collectionneur fou de figurines Godzilla, de l’amateur de dédicaces prêt à tout obtenir la précieuse signature sur chacun de ses bouquins à la belle-mère obsédée par la religion, mais aussi des appartements crasseux aux bureaux dégoulinants d’affiches scabreuses et de reliefs de repas guère diététiques, rien ne nous est épargné ; malgré tout, nous ne nageons pas dans le misérabilisme ou le glauque le plus déprimant.
Car si les personnages sont tous à moitié cinglés, ont une vie souvent compliquée, et galèrent au quotidien, que ce soit par manque de moyens ou par un trop plein de névroses mal dégrossies, ils n’en essaient pas moins d’avancer, de profiter de ce que la vie peut offrir. Et ce n’est pas un festival de BD amateurs totalement foiré ou une peur panique d’avoir des gamins qui vont les arrêter…
Une réussite notable, bien moins connue que des classiques comme Love & Rockets (à quand une réédition de Locas ou Palomar City ?) ou les chroniques de Joe Matt ou Chester Brown, mais qui mérite de trouver sa place dans toute BDthèque garnie des classiques de la BD indépendante américaine ! Et merci aux Humano de nous surprendre, de temps à autre !!
NB : n’hésitez pas à cliquer sur le nom des auteurs ou œuvres cités ici, des liens se cachent parfois de ci de là… Bonne lecture !
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