À l’origine, il y eut Carl Barks. Lui qui a repris l’univers créé par Walt Disney, et l’a enrichi au point de lui offrir des dizaines de personnages secondaires aussi irrésistibles que Gontran, Miss Tick, Géo Trouvetou ou Les Rapetou. Il a même conçu le principe de Donaldville. Mais surtout, surtout, il a créé Balthazar Picsou, l’oncle milliardaire radin et acariâtre, faisant passer ce ronchon de Donald pour un brave garçon… Mais un artiste ayant créé une œuvre aussi conséquente a forcément laissé des séquelles, et aucun auteur après lui n’a réussi à reprendre le flambeau avec autant de poigne et d’originalité. Aucun, jusqu’à Don Rosa, ce doux dingue (qui admet lui-même être médicalement parlant fou), qui va architecturer la totalité de son travail autour de celui de Barks… Chacune de ses histoires va ainsi faire corps avec une créée par Barks, la prolongeant, l’épaississant, la modernisant, mais toujours dans un respect quasi-religieux. Don Rosa n’a pas créé de personnages aussi marquants que son prédécesseur, il a simplement réussi l’exploit de faire aussi bien que lui dans la qualité de ses histoires, et surtout de le transcender en matière de dessin, d’humour et d’universalité.
Ainsi, quand Glénat a commencé son travail pour ainsi dire archéologique de publication des grandes sagas de l’univers Disney, et que sortirent les premiers tomes de l’intégrale Carl Barks (La Dynastie Donald Duck, 14 tomes parus à ce jour, sur 24 prévus), beaucoup sautèrent de joie. Mais une série culte, encore inédite en librairie (bien que publiée à de nombreuses reprises en presse), manquait à l’appel, et on ne pouvait s’empêcher de quémander, des trémolos dans la voix : « Et La Jeunesse de Piscou, c’est pour quand ? » Eh bien, c’est désormais chose faite, et l’œuvre complète de Don Rosa sera compilée dans 7 beaux bouquins titrés La grande épopée de Picsou, le premier étant consacré à ce fameux cycle de La Jeunesse.
Comment expliquer le succès hors norme, critique et public, de cette série de 12 numéros, qui fit de Don Rosa l’un des rarissimes auteurs estampillés Disney a obtenir un prix Eisner pour son travail ?
Plusieurs pistes évidentes… Tout d’abord, la masse monstrueuse d’histoires conçues par Barks reste un monument difficile à concevoir. Pensez donc, 30 années de publication, difficile d’en faire le tour ! Don Rosa, monomaniaque génial, collectionneur fou de comics, les connait tous sur le bout des doigts. Chaque détail, chaque incohérence, rien ne lui est étranger. Il a donc pris un malin plaisir à reprendre les cycles majeurs de Barks, et à leur donner des suites toujours savoureuses. Avec son humour farfelu, ses dessins riches et ses idées saugrenues, il a offert à Donaldville ce que personne n’avait réussi depuis Barks : une épaisseur, une identité, autre chose que des aventures naïves et enfantines.
Et surtout, son amour total pour Picsou, ce personnage incroyable. D’abord conçu comme un second rôle à la limite du méchant, il prend avec Don Rosa une place fondamentale, patriarche et aventurier de tous les instants, sarcastique, radin, souvent insupportable, mais le long cycle qui explique sa vie, de son enfance pauvre à ses aventures africaines, américaines et tant d’autres, ce Balthazar prend une dimension incroyable. Car Don Rosa raconte l’Histoire, le mettant aux prises avec Roosevelt ou des chercheurs d’or, et Picsou, avec ses défauts, ses erreurs, ses errements, va influer sur tout un pan de la culture américaine. C’est un peu mégalo, certes, mais certaines histoires ne peuvent se lire de bout en bout sans, à un moment donné, provoquer un frisson de jubilation : l’auteur réussit le tour de force de secouer son lecteur, qu’il ait 8 ans ou 45, et relire le cycle complet en un seul bouquin est une claque de plaisir comme on en ressent rarement.
Chaque épisode est introduit par une préface complète et aussi précise que possible de Don Rosa : il explique tous ses choix, justifie avec modestie chaque modification apportée aux histoires originales de Barks, et remet en perspective la somme hallucinante de travail déployé pour rester cohérent avec la « chronologie » de Barks. L’auteur prend aussi plaisir, dans la totalité de ses histoires, à cacher dans chaque première page l’acronyme D.U.C.K. (signifiant : « Dedicated to Unca Carl from Keno », que l’on pourrait traduire par « En hommage à Oncle Carl, de la part de Keno« , Keno étant le second prénom de Don Rosa). Et évidemment, avec son sens du détail, il cache à foison des clins d’œil, des piques d’humour surprenantes, dans énormément de fonds de cases, rendant chaque relecture plus drôle et gouleyante que la précédente.
Quelque soit l’âge du lecteur, si un jour, il a lu du Donald ou du Picsou et y a pris du plaisir, La jeunesse de Picsou de Don Rosa est INDISPENSABLE.
NB : Notez par ailleurs que ce premier tome reprenant la totalité des 12 numéros, le second (intitulé avec malice La jeunesse de Picsou 2/2) reprend les histoires autour de ce fameux cycle. Don Rosa ayant élargi à plusieurs reprises son exploration de la jeunesse de Picsou. Mais ce volume 1 reste la pierre angulaire de la collection, et peut se suffire à lui-même.
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