Clément Baloup est avant tout connu pour ses BD publiées chez divers éditeurs indépendants ou dans des collections dites « d’auteur ». Il a ainsi écrit et dessiné Quitter Saïgon ou encore Mong Khéo (des chroniques remarquées, se déroulant généralement au Vietnam ou en Indochine), mais il a aussi fait preuve d’un vrai sens de l’écriture, en prêtant ses histoires à Mathieu Jiro (Chinh Tri, Diables sucrés) ou ici à Christophe Alliel. Accessoirement, il est résident au Zarm’atelier, atelier d’auteurs BD et d’illustrateurs dont la renommée va grandissant. Christophe Alliel, ancien du Zarma lui aussi, s’est plutôt fait connaître par des productions d’aventures (Les terres de Caël, série en standby, mais surtout Spynest, écrite par Jean-Luc Sala). Amis dans la vie, ils ont eu l’envie d’associer leurs talents sur un ouvrage commun, et s’ils n’ont pas choisi la facilité, avec une thématique rude, le résultat est des plus enthousiasmants.
Deux gamins, Anouar et Talino, vivent dans un village africain comme tant d’autres. Talino, le plus jeune, est un peu rêveur, et se fait souvent bousculer par son frangin Anouar, bien plus dur. Lorsque le village se fait attaquer par un groupe révolutionnaire armé, ils sont séparés, et suite au meurtre de leurs parents, Talino se fait soigner et aider dans un refuge tenu par des occidentaux. Alors qu’il reprend peu à peu confiance en la vie, une nouvelle attaque a lieu, menée cette fois par son frère. Ayant pris fait et cause pour son agresseur, il vient récupérer tous les enfants réfugiés là afin d’en faire son armée personnelle, son frère inclus…
Partant d’un sujet difficile, les auteurs réussissent à élargir le propos, et nous offrent une forme de fable pleine de fureur, dans laquelle l’humanité le dispute à la cruauté. Car ce sont bien deux visions, deux mondes qui s’affrontent ici : entre le jeune frère idéaliste, ne désirant qu’une vie normale et répugnant à user de la violence, et le grand frère enragé, tourné entièrement vers une haine qu’il canalise sur un ennemi souvent mal défini, on trouve les germes de bien des conflits, bien des guerres civiles qui séparent familles et villages. Baloup réussit à ne pas entrer dans la caricature, incluant des passages mystiques et romanesques qui ne font que retarder l’inévitable. Ce combat fratricide, qui court tout le long de l’album, est à la fois universel et terriblement incarné, car si les évènements ont un détestable goût de réalité, les personnages sont là, palpables, touchants, et chaque impact, chaque coup se fait ressentir à travers les cases…
Alliel, de son côté, met de côté le rendu léché qui lui est familier, et va vers un encrage plus sale, plus noir. Les masses sont placées avec force, certaines cases conservent une dynamique qui ne feraient pas tâche dans un polar, mais on sent une implication de tous les instants, un travail presque viscéral sur chaque regard, chaque heurt. Difficile désormais de savoir vers quoi ses prochaines parutions pencheront, mais un auteur est né, aucun doute. N’oublions pas les couleurs, claquantes, de Sebastian Faco. Chose plaisante, les auteurs ont parfaitement réussi à équilibrer les deux périodes (Afrique et Marseille), que ce soit par la narration ou le graphisme, qui facilite les transitions (ou les absences de transitions).
Massif et impactant, Le ventre de la hyène est une grosse gifle, dont la fin ne laisse pas indemne. En toute modestie, sans prétendre connaître la réalité quotidienne de ce genre de conflits, nous ne pourrons plus dire que nous ne savons pas.
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