Émile Bravo, c’est cet auteur fameux dont le Journal d’un ingénu fut un succès surprise aussi brusque que révélateur. Il a commis nombre de bouquins orientés jeunesse, dont les fameuses Aventures épatantes de Jules. Bref, il a un beau parcours d’auteur qui raconte de belles histoires, plutôt malignes, à nos enfants. Oublions tout ça quelques instants, car voici venir sa récréation, son petit coin secret, son jardin à lui tout seul… Et ça décoiffe !
Parmi les tout meilleurs auteurs tout public de sa génération, Bravo fait partie de ces rares scénaristes à réussir à parler à tout le monde, sur plusieurs niveaux. D’un humour fin et parfois cinglant, il fait sourire les adultes, qui n’attendent pas forcément un bon mot ou une situation aussi fine dans une histoire de Spirou (par exemple). Mais il va aussi raconter des aventures évidentes, séduire la marmaille en lui offrant de grands moments de bravoure et aux concepts bien arrêtés. Bravo, en gros, c’est le Goscinny du XXIème siècle, l’auteur complet, qui parle à l’enfant qui est en chaque adulte, mais réussit aussi à plaire aux gamins sans les prendre pour des billes. Un miracle, somme toute.
Mais il faut croire qu’il ne peut pas rester toujours subtil, dans le sous-entendu ou la délicatesse. Parfois, il craque, et il pond une histoire grinçante, à l’humour noir, giflant à tours de bras la bêtise de ses semblables. Ces histoires, elles n’avaient jamais connu l’heur d’une publication reliée, juste des prépublications dans divers magazines. Il aura donc fallu attendre Les Requins Marteaux, cette maison d’édition un peu branque qui publie Winshluss ou qui a osé créer la fameuse collection BDCul, pour enfin relire ou découvrir ces pépites noires…
Son graphisme volontiers désuet peut prêter à confusion : lui qui fut publié dans Okapi, avec ce dessin old school qui rassure les parents et fait parfois gentiment bailler leur progéniture, a des choses à dire, et quand il le veut, ça dépote. Entre la parodie, visuellement impeccable, de Blake et Mortimer version nazie, le combat implacable d’un père de famille incompétent en cuisine, mais volontaire pour faire la tambouille coûte que coûte (quitte à ce que madame finisse, par dépit, par décongeler frites et burgers), la parade amoureuse d’un couple de lapin prêt à passer à la casserole (dans tous les sens du terme), il garde son style reconnaissable entre tous, et surprend par sa liberté de ton.
Car c’est bien son humour que l’on découvre ici. On le savait volontiers sarcastique ou parodique, comme dans sa série (fameuse, à lire absolument) des Sept ours nains. On le savait aussi prêt à parler de sujets plus difficiles, comme le deuil (Ma maman est en Amérique…), on le découvre ici à l’aise dans la vanne trash, noire et dérangeante. Jamais vraiment méchant, mais souvent insolent et moqueur, il pointe du doigt les travers divers et variés de tout un chacun, et envoie bouler convenances et politiquement correct comme on ne l’aurait jamais cru possible.
Le jardin d’Émile Bravo, c’est un recueil de drôlerie sans limite, à ne pas mettre entre toutes les mains, vers lequel vous reviendrez lorsque vous en avez marre d’une lecture tiède et fadasse. Une claque jubilatoire !
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