Si vous vous intéressez un tant soit peu à la bande dessinée, vous connaissez certainement Riad Sattouf. Et si vous ne le connaissez pas, peut-être avec vous déjà croisé l’une ou l’autre de ses œuvres. De Ma circoncision, autobiographie (déjà) dans laquelle il parlait de son rapport terrifié à la circoncision, à Pascal Brutal, primé à Angoulême et mettant déjà en scène une forme de super-arabe too much, too macho, et vraiment trop charismatique pour son propre bien, Sattouf n’avait jusqu’ici fait que toucher du bout du doigt le fond de ce qui fait la qualité de L’arabe du futur, cette autobiographie qui s’annonce, dès ce premier tome, comme l’exercice du genre le plus complet publié ces dernières années…
Sur la forme, ce volume inaugural reste dans la lignée de ce que Sattouf a déjà fait sur Ma circoncision ou Retour au collège : un mélange entre noir et blanc et bichromie, avec un dessin expressif et maîtrisé, sans jamais tomber dans le réalisme ou le scolaire. Voilà une esthétique qui a du style, mais qui n’écrase pas le propos par un graphisme trop marqué.
Sur le fond, Sattouf étonne sur plusieurs plans : il démarre son récit par sa prime jeunesse, et ces 150 pages ne couvrent donc que ses 6 premières années de vie. Il n’est certes pas omniscient, mais il a visiblement des souvenirs assez précis depuis ses 2 ans, ce qui donne lieu à de savoureuses descriptions de ce qui l’entoure ou de ce qu’il perçoit, sans que jamais le Sattouf adulte ne donne l’impression de baliser les souvenirs du Sattouf enfant. Pas de jugement, donc, mais une mise à plat souvent étonnante et grinçante de ce qu’il a vécu au quotidien. Ensuite, les descriptions sans douceur de certains évènements, et certaines déclarations abruptes de son père. Un père syrien, qui épouse une bretonne au cours de ses études à Paris, et voit sa carrière politique repoussée constamment par un certain manque d’implication, malgré tous ses grands discours. Il entraine sa famille vers la Syrie puis la Libye, à la recherche d’emplois qui coïncident avec ses ambitions, et va de déconvenue en déconvenue, avec malgré tout une idée fixe : les arabes doivent évoluer, en finir avec la bigoterie, s’éduquer, afin d’être en phase avec le monde moderne. Il décide donc, naturellement, d’envoyer Riad, enfant choyé et protégé par sa mère, dans des écoles musulmanes afin de lui apprendre sa culture et les choses de la vie…
Difficile de rester aussi stoïque et de prendre autant de recul que l’auteur ici, tant le Printemps Arabe et les différents mouvements populaires de ces dernières années dans les pays du Maghreb ont mis à jour l’ampleur des dictatures que Sattouf décrit ici : entre la Libye, tout juste passée sous la coupe de Kadhafi, qui devient une sorte d’état communiste chaotique, dans lequel chacun peut prendre un logement même s’il est déjà occupé, et la Syrie d’Hafez El-Assad, rongée par l’autoritarisme étatique et la corruption, les souvenirs d’enfance ne font guère illusion. Le jeune Riad n’est pas vraiment tombé dans le meilleur des mondes, arabe ou pas, et sa famille va vivre des passages difficiles, entre une mère occidentale (et donc forcément suspecte) et une famille syrienne déconnectée des envies panarabes du père, tout se complique rapidement…
Mettant de côté ses déconnades chez Fluide Glacial (Pascal Brutal), ses portraits grinçants de l’adolescence contemporaine (La vie secrète des jeunes, Retour au collège), ses expériences de réalisateur de cinéma (Les beaux gosses, Jacky au royaume des filles) ou ses historiettes romantico-humoristiques (Les pauvres aventures de Jérémie, No sex in New York), Riad Sattouf met donc ici sa vie à plat. Lui qui est un exemple d’intégration, d’origine syrienne et devenu artiste à succès en France, dévoile ici un passé moins lisse qu’on aurait pu le croire. Avec son humour si singulier et son graphisme reconnaissable, il raconte des bouts de vie pas forcément joyeux, mais toujours édifiants, avec la tendresse d’un enfant pour ses parents, mais sans non plus camoufler les erreurs apparentes de son père (notamment).
Une très belle entreprise éditoriale, riche et authentique, que nous prendrons plaisir à retrouver dans les tomes suivants…
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