Allez, disons le tout sec : ce bouquin hors norme, atypique dans le fond comme dans la forme, anachronique, c’est l’une des régalades de ce début d’année 2014.
Jeremy Bastian, auteur américain jusqu’alors inconnu, ami de David Petersen (Les légendes de la garde, une saga flamboyante et rare d’aventures fantasy, avec pour héros des souris), explose ici le carcan de ce que l’on peut faire en bande-dessinée. Lui qui arrive en langue française, avec comme porte étendard une citation plus qu’élogieuse de Mike « Hellboy » Mignola, amène surtout un style faussement désuet, foncièrement sincère et surtout radical dans sa folie douce.
La fille maudite du capitaine pirate, ce sont les mésaventures d’une jeune fille abandonnée à son sort, en Jamaïque, courant XVIIIème siècle. N’ayant besoin de personne pour prendre soin d’elle, sa principale occupation est de s’inventer des histoires totalement folles, à base de pirates, de combats à l’épée et d’aventures ébouriffantes. Car oui, elle en est certaine, elle est la fille d’un grand pirate, du plus grand des pirates, et un jour, elle partira à sa recherche ! Sa rencontre fortuite avec Apollonia, fillette curieuse et timide, rejeton du tyrannique gouverneur de l’île, va précipiter son départ…
Située quelque part entre Alice au pays des merveilles, Peter Pan et Le baron de Münchhausen, cette étrange série gratte ses inspirations dans les contes de notre enfance. Mais pas les version aseptisées et lisses revues par Disney et sa cohorte de suiveurs. Non, il s’agit ici d’historiettes surprenantes, à la morale ambigüe, parfois sombres et violentes, mais qui embarque l’imaginaire sur des flots aussi tumultueux que palpitants. Notre héroïne croisera ainsi, durant ses pérégrinations sous-marines, des frères espadons en armures, prompts à se chamailler, un navire pirate peuplé de dragons et mené par un petit bonhomme avec un os humain coincé dans le chapeau, mais aussi (évidemment) un perroquet qui parle, et qui se déplace sous l’eau en utilisant un gros poisson comme embarcation… Bref, tout arrive, rien ne se peut, et les surprises s’enchainent avec la frénésie et le plaisir gourmand d’une histoire que l’on invente pour faire s’agrandir les yeux d’un enfant, le soir, auprès de son lit. Car il s’agit bien de ça, ici : a-t-on conservé suffisamment son âme d’enfant pour accepter les moments les plus foldingues de ce drôle de livre ?
Ce qui peut finir de convaincre, d’acheter notre assentiment de lecteur, ce sont bien sûr les graphismes. Page après page, l’auteur nous fait exploser à la figure une myriade de séquences visuellement époustouflantes, et ne se retient jamais de déglinguer le cadre dit « classique » de la BD. Car tout se raconte, tout s’imagine, avec ces gravures dignes d’un Gustave Doré légèrement éméché ! Les créatures sont à la fois grotesques et attachantes, l’héroïne évolue sans mal dans un univers flamboyant et maniéré, et ses aventures sont autant d’excuses à lui faire côtoyer des lieux et des personnages totalement fous !
Notons, afin de parfaire le tout, que Les éditions de La Cerise, responsables de l’édition francophone de cette pépite, on mis les petits plats dans les grands : la traduction est assurée par un monstre sacré (Patrick Marcel, traducteur attitré de Terry Pratchett et son Disquemonde), les textes sont écrits à la main, et le livre en lui-même, pour son prix modique, est d’une fabrication impeccable. Un vrai régal d’humour, d’inventivité et de fantaisie, à lire, relire, déguster et laisser vieillir comme un bon vin. Une révélation !
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