Profitant sournoisement de la venue de Michel Rodrigue aux magasins de Balexert (le 27 septembre) et Fribourg (le 7 novembre), et de Roger Widenlocher à Lausanne (ce samedi 20 septembre, venez nombreux !!), Balexert (le 27 septembre), Rive (le 04 octobre) et enfin Fribourg (le 07 novembre), j’ai pris mon téléphone, et posé quelques questions au sieur Rodrigue, dessinateur et scénariste fécond.
Michel Rodrigue, c’est pour beaucoup de jeunes (et moins jeunes) lecteurs l’auteur de Cubitus, Sybil la fée cartable et Bidule. Ce n’est évidemment que la partie visible de l’iceberg, puisqu’il a aussi écrit le premier volume de Triple Galop, repris Clifton et Les pieds nickelés, dessiné pendant des années pour Rugby Magazine. Il a aussi signé le poétique Chat qui courait sur les toits, avec René Hausman, et bien d’autres choses encore…
Question : Une question classique, pour commencer. Quels sont les auteurs qui vous ont le plus marqué et / ou inspiré ?
Michel Rodrigue : Une réponse classique, alors. Uderzo, Franquin, Mazel (auteur de Câline et Calebasse ou Les Paparazzi), et tous les grands des journaux Tintin et Spirou, avec lesquels j’ai grandi. Ensuite, il y a eu les auteurs que j’ai d’abord admiré et apprécié, puis que j’ai pu rencontrer. J’ai ensuite eu la chance, pour certains, de travailler avec eux, et de devenir leur ami. Des gens comme Dupa et De Groot, évidemment.
Question : Un autre traditionnel des interviews BD : quels conseils donneriez-vous à un jeune auteur qui démarre ?
Michel Rodrigue : Changer de métier ! (rires) Non, plus sérieusement, il faut s’accrocher, y croire. Et s’orienter rapidement sur le multimédia, élargir ses concepts pour qu’ils puissent s’adapter sur tous les nouveaux médias (cinéma, jeux vidéos, internet…). Ce sont plus des suggestions qu’autre chose, ceci dit, je ne veux pas faire le vieux donneur de leçon. Et comme dit Hausman : « On apprend toute sa vie » !
Q : Une question d’actualité, maintenant. Quel est votre point de vue sur la polémique lancée par Aurélie Filipetti (elle disait, dans une interview, que la BD n’est pas en crise), malgré les difficultés récurrentes des auteurs à vivre de leur travail ?
M.R : Qui est-ce ? Non, plus sérieusement, elle ne sait certainement pas de quoi elle parle. D’ailleurs, c’est l’ancienne ministre de la culture, c’est bien pour une raison. Je n’ai pas vraiment d’avis sur ce sujet, si ce n’est que beaucoup de gens, notamment politiques, parlent sans savoir, c’est tout.
Q : Vous avez acquis, au fil des ans, une solide expérience dans le domaine de la reprise : Les pieds nickelés, Clifton, Cubitus…
M.R : En fait, ces projets se sont fait naturellement, à la demande des éditeurs. Pour les Pieds nickelés, ça m’a permis d’apprendre mon métier. Pour Clifton, c’est Bédu qui, un peu surchargé, m’a proposé de reprendre la série, et Le Lombard a accepté. Dans le cas de Cubitus, ça s’est fait naturellement : j’étais souvent avec Dupa, pour lui demander conseil, apprendre, et nous étions devenus amis. À sa mort, Le Lombard m’a proposé de créer cette suite, j’ai bien sur accepté.
Q : Mais du coup, qu’est-ce qui fait, selon vous, la réussite – ou pas – d’une reprise ?
M.R : C’est toujours un grand mystère, que ce soit une réussite ou un échec. Dans les entreprises artistiques, il y a toujours un côté inexplicable, sinon on aurait trouvé la formule magique, il n’y aurait plus qu’à l’appliquer ! Mais je dirais malgré tout qu’il faut rester fidèle à l’univers, et surtout au graphisme. Le lecteur ne doit pas être dérouté par le dessin, il a envie de retrouver ses personnages. Dans le cas de Cubitus, j’ai travaillé plusieurs mois sur des boulots de moindre importance pour m’approprier le personnage : des cartes postales, des illustrations de commande, etc… Certains auteurs ont la chance d’avoir été l’assistant durant des années du créateur de la série qu’ils reprennent. Des gens comme Verron (Boule et Bill) ou Batem (Le Marsupilami) ont cette caution, ils connaissent parfaitement l’univers sur lequel ils travaillent.
Q : Pour quelle raison avez-vous arrêté Triple Galop dès le tome 1 ?
M.R : J’ai du faire un choix, puisque je travaillais aussi sur Cubitus, tout simplement. C’est d’ailleurs possible que j’y revienne, c’était un problème d’emploi du temps !
Q : Comment se fait-il, avec votre carrière passée de joueur de rugby (sélectionné en équipe de France), que vous n’ayez jamais fait de série d’envergure sur le sujet, comme Les Rugbymen ou quelque chose du même acabit ?
M.R : Mais j’ai fait des choses, sur le sujet, plusieurs même ! Le dernier date de la coupe du monde 2011 (Brèves de rugby, chez Glénat). D’ailleurs je n’ai pas arrêté de jouer, je vis entre la France et l’Écosse, je joue aussi au rugby là bas. J’ai travaillé pendant près de dix ans pour Rugby Magazine, j’imaginais des gags tous les mois autour d’un club de rugby fictif… Concernant les Rugbymen, c’est très bien pour leurs auteurs, ça ne s’est juste pas fait à l’époque, je n’étais pas disponible, probablement.
Q : Avez-vous des projets à venir, ou des choses qui restent dans les cartons sans trouver éditeur ?
M.R : Le gros souci, c’est trouver le temps. Sinon, mes projets futurs, c’est un album de parodie que j’écris et que je dessine, qui se moquera gentiment de séries comme Thorgal, XIII, Largo Winch ou Croisade, les grandes séries de Van Hamme et Dufaux, en somme. Sinon on va tester une formule différente avec Erroc pour Cubitus. Le tome 10 s’appellera Cubitus a tout inventé, et imaginera de manière fantaisiste de grandes inventions créées par Cubitus. Ce ne seront plus des gags en une planche, mais en plusieurs pages. Ça sortira début 2015.
Q : Et concernant Bidule ?
M.R : La série n’est pas abandonnée, d’autant qu’elle se vendait plutôt bien et avait trouvé son public, plutôt jeune. D’ailleurs, on me demande souvent des produits dérivés, des porte-clés, des choses comme ça. Pour l’instant, c’est en attente, par manque de temps. Mais j’y reviendrai surement ! Le personnage apparaît de nouveau dans le dernier Cubitus, comme une piqûre de rappel.
Q : Quelle est votre plus grande fierté, ce qui vous a le plus marqué, sur l’ensemble de votre carrière ?
M.R : Surtout les rencontres, les gens que j’ai côtoyé, qui m’ont appris beaucoup, que j’admirais avant de connaître…
Q : Quel regard jetez-vous sur le monde de la BD aujourd’hui ?
M.R : Le métier devient difficile. Je vois surtout la surproduction : les lecteurs ne s’y retrouvent plus, les libraires non plus, il n’y a plus beaucoup de place pour de jeunes auteurs. Et puis j’ai l’impression que tout ça se fait au détriment de la qualité… Et évidemment, quand j’ai démarré, il sortait environ 1000 bouquins par ans, aujourd’hui c’est 5000. Donc forcément les ventes en pâtissent, il y a trop d’offre par rapport à la demande. Et puis on oublie aussi trop souvent les lecteurs de demain, les enfants. Quand je vois des libraires spécialisés, leurs vitrines sont remplies de BD réalistes. Il en faut, bien sur, il doit y en avoir pour tous les goûts, mais ça ne fait pas entrer les gamins dans une boutique. Quand j’étais petit, il y avait une boulangerie près de chez moi qui faisait des vitrines spectaculaires lors des grandes occasions (Noël, Pâques, etc). Je me souviens de poussins vivants, par exemple ! Ça, ça nous faisait entrer !
Q : Et pour finir, quelques mots sur Galaktus…
M.R : Alors Galaktus, c’est un projet qui nous est venu, avec Roger Adam, qui vient de l’évènementiel. La reprise de NAB, par Widenlocher et Goulesque est sortie chez Galaktus Studio, la branche édition, et est auto-distribuée en France (en Suisse chez Dargaud CH). Nous ne voulions pas dépendre du bon vouloir des distributeurs français, et les auteurs voulaient changer de Dargaud Paris. Le livre fonctionne très bien, et les auteurs font pas mal de dédicaces, on travaille directement avec les libraires… En dehors de ça, nous organisons aussi des évènements, donc, des expositions… On cherche avant tout trois choses : que ce soit didactique, attractif et interactif. On veut ramener la BD vers les enfants, sans s’appuyer uniquement sur les librairies. Par exemple, Yakari et ses amis, on croise des personnages et des animaux tirés de la BD de Derib. Elle sera à Lausanne courant octobre, venez nous voir !
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