Le festival d’Angoulême, grand’messe de la BD franco-belge (et un peu mondiale, ces dernières années), s’achève. Il est donc temps de se poser, et de faire le bilan des évènements et du palmarès de cette édition 2015.
Dès vendredi, et alors que l’auteur japonais était face à deux colosses de la BD mondiale (Hermann, auteur increvable de Jeremiah et tant d’autres, et Alan Moore, monstre sacré du comics), Katsuhiro Otomo est sacré Grand Prix de la Ville d’Angoulême (j’en parlais ici). En parallèle, Jean-Christophe Menu, éditeur et auteur, qui avait animé L’Association (Persepolis, L’ascension du Haut-Mal, La vie secrète des jeunes) durant ses grandes années et vient de créer L’Apocalypse, venait récupérer le Grand Prix Spécial remis à Charlie Hebdo, à la demande de sa rédaction. Il offre alors un discours rageur, comme à son habitude, qui résonne longuement avec celui, plus délicat mais tout aussi touchant, de Blutch, venu quant à lui récupérer le Prix Charlie Hebdo pour la Liberté d’Expression (remis évidemment aux 5 auteurs assassinés le 7 janvier, à savoir Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski).
De leur côté, les auteurs se sont réunis, et face à une crise qui ne fait que commencer (voir ici pour plus d’explications), près de 500 auteurs ont manifesté dans les rues de la ville. 500 sur environ 1.500 recensés en France. Un chiffre impressionnant, pour des personnes qui vivent rarement de leur passion, et qui voient tous les autres éléments de la chaine du livre (de l’éditeur au libraire, en passant par l’imprimeur et le distributeur) gagner leur salaire, mois après mois, tandis qu’eux galèrent, page après page.
Et alors que Watterson, lauréat du grand prix 2014, avait fait défection en tant que président du jury (mais avait signé malgré tout une chouette affiche) et était remplacé par Gwen de Bonneval (auteur complet et éditeur chez Sarbacane et Professeur Cyclope), le palmarès tombait dimanche 1er février. Qu’en dire ?
Fauve d’Or – Meilleur album
L’arabe du futur, Riad Sattouf – Allary Éditions.
Un bouquin chroniqué ici par mes soins. De Bonneval indique que ce livre est le seul, sur l’ensemble du palmarès, à avoir fait l’unanimité. Difficile, en effet, de trouver une aspérité à cet ouvrage pensé de longue date (l’auteur y travaillait depuis 10 ans, dixit son éditeur), et qui avant même son prix était un succès éditorial majeur (dans les 10 meilleures ventes de l’année 2014, avec près de 110.000 exemplaires écoulés).
Fauve d’Angoulême – Prix du Public
Les vieux fourneaux, Lupano & Cauuet – Dargaud.
Marie vous en a suffisamment parlé (ici et ici), mais comment le lui reprocher ? Les vieux fourneaux, c’est de la feel good BD, le genre qui offre une respiration salvatrice, un sourire bienvenu. Il est d’ailleurs notable que cette série ait eu le prix du public (qui est le seul, comme son nom l’indique, à avoir été élu par le public, et pas par un jury). Un régal, qui se prolongera encore sur 2 tomes !
Fauve d’Angoulême – Prix spécial du Jury
Building Stories, Chris Ware – Delcourt.
J’en touchais deux mots dans cette chronique dédiée aux comics en VO, mais son édition française méritait bien un prix. Building Stories, c’est le bouquin-objet le plus fou de l’année, un succès ahurissant aux USA et dans les pays anglo-saxons, plus limité chez nous, mais qui a rendu fébrile tous les journalistes et libraires spécialisés. Une pépite unique en son genre, bien qu’un chouilla élitiste, ce qui explique probablement en partie ce « prix spécial ».
Fauve d’Angoulême – Prix de la série.
LastMan, Vivès, Balak & Sanlaville – Casterman.
Florian, mon glorieux prédécesseur, en parlait ici avec des vibratos dans la plume. Lastman c’est la world BD dans toute sa splendeur : une rapidité d’exécution quasi-industrielle (à la japonaise, diront certains), une narration ample typée manga, des bastons homériques typiquement comics, et des passages purement déglingués bien Vivès : Casterman a eu le culot de publier ça, et d’y mettre les moyens. Résultat : ce n’est pas le best-seller de l’année, mais une série qui se bonifie au fil des tomes, et dont les ventes grimpent gentiment, mois après mois (environ 80.000 exemplaires écoulés des 6 premiers volumes).
Fauve d’Angoulême – Prix Révélation
Yékini le roi des arènes, Lugrin & Xavier – FLBLB.
Celui-ci, personne ne l’a chroniqué sur nos pages. Petit éditeur, FLBLB a quelques pépites au catalogue (dont l’inénarrable Petite histoire des colonies françaises, dont je vous parlerai bientôt).
Fauve d’Angoulême – Prix jeunesse
Les royaumes du nord t1, Melchior-Durant & Oubrerie, d’après Pullman – Gallimard Fétiche.
Une adaptation des romans cultes de Philip Pullman, par le dessinateur de Pablo et Aya de Yopougon. Pas chroniqué par ici, et je dois bien l’avouer, pas lu non plus. Mais je bouquine actuellement les romans, et c’est tout bonnement excellent !
Fauve d’Angoulême – Prix du patrimoine
San-Mao le petit vagabond, Zhang Leping – Fei Éditions.
Une traduction de l’un des très grands strips humoristiques chinois. Fei continue de défricher la culture populaire, avec cette série créée dans les années 30. Des histoires touchantes, qui sentent le vécu, et dévoilent un pan méconnu du Shanghai du début XXème.
Fauve Polar SNCF
Petites coupures à Shioguni, Florent Chavouet – Philippe Picquier.
Après les succès de ses carnets de voyage délirants au Japon (Tokyo Sanpô et Manabe Shima), Chavouet passe à la BD pure et dure, avec son style graphique singulier, et toujours dans le petit monde du Japon populaire. Un polar narquois, qui profite ainsi d’une nouvelle visibilité !
Fauve d’Angoulême – Prix de la BD alternative
Dérive urbaine 6, Une autre image.
Conçu par un collectif emmené par Boris Hurtel, ce bouquin semble raconter… Non, je vais plutôt laisser parler le site de l’éditeur, ne l’ayant pas lu :
« Le nouveau numéro de notre revue Dérive Urbaine (…) poursuit l’exploration de la ville imaginaire de Capitalia commencée dans le précédent numéro. Cette fois les différentes BD entrecroisent les destins de six personnages dont les fiches anthropométriques et biographiques sont reproduites entre les récits. Lucie Castel, Boris Hurtel, Gautier Ducatez, Sylvain de la Porte, Alexandre De Moté, Yoann Constantin, Nylso et Marie-Saur, Lisa Lugrin, Guillaume Soulatges, Loïc Verdier, Eric Nosal et Gabriel Dumoulin ont enquêté en bandes dessinées sur ces citoyens au-dessus de tout soupçon. Les auteurs ont adapté leurs imaginaires à la contrainte proposée avec humour et inventivité créant au final une mini-comédie humaine paranoïaque dans un monde où la vie privée n’existerait plus… »
Un palmarès riche, donc, qui réussit plutôt bien l’alternance entre livres pointus et grand public. Un bon cru, même si chacun peut s’offusquer de l’absence de son favori ou de son coup de cœur (qui a dit « Vois comme ton ombre s’allonge » ?)
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