Vois comme ton ombre s’allonge
Gipi, éditions Futuropolis
Gipi, auteur rare et encore un poil méconnu du grand public, fêtait ses 50 ans l’année dernière. Un demi-siècle. Pour un créateur, salué par la critique, mais dont la production reste limitée en quantité (8 ouvrages parus en français, guère plus en Italie), c’est probablement le moment d’un premier bilan.
Silviano Landi, le personnage central du dernier ouvrage (écrit donc en 2013, l’année des cinquante ans, etc) de Gipi, en est au même point. Auteur reconnu mais en panne d’inspiration, il vit mal un ensemble de choses qui, peu à peu, l’amènent au bord du gouffre. Une nuit, sa fille part à sa recherche, et le découvre nu au beau milieu de nulle part. Aller simple pour l’hôpital psychiatrique, où le patient est vite reconnu, et n’est pas tant pris en charge pour être soigné que pour rehausser les égos de tous les praticiens présents. Mais Silviano a perdu pied, et difficile pour ceux qui l’entourent de savoir ce qui lui passe par la tête. Il dessine de manière compulsive deux éléments a priori sans rapport, et dont personne ne connaît l’origine : un arbre immense au branches dénuées de feuilles, et une station-service, la nuit. Il nous faudra plonger, nous autres lecteurs, dans les méandres de son passé, de celui de son aïeul, de ses pensées les plus intimes, pour enfin embrasser toute sa vérité…
Gipi a ce talent incroyable de mettre en scène des personnages humains. Ils ne sont pas parfaits, ils ne sont pas odieux ou détestables pour autant. Non, ils avancent juste vaille que vaille, essayant de limiter la casse, et parfois se retournent pour voir ce qu’ils ont loupé. Cet écrivain fatigué, largué par sa femme, repoussé par sa fille, redécouvre le passé de son grand-père, qui vécut les tranchées de la pire des manières, sanglante et brutale. Et c’est en suivant ce drôle de cheminement que nous apprécions d’autant plus la subtilité de l’auteur : sous un graphisme parfois faussement naïf se cache des trésors de psychologie, et quand il se permet de splendides illustrations en pleine page ou presque, c’est pour cacher derrière le vrai sens de son ouvrage, de sa parole, ce qu’il travestit sous des dehors séduisants. Parce que ça ne l’est pas, séduisant. La guerre, la vieillesse, la mort, la trahison, l’oubli… La perte d’identité.
Alors non, ce n’est pas un livre sautillant et joyeux, loin de là. Ce n’est pas un ouvrage qui fait se sentir mieux. Et si certains, moi le premier, ont ouvert ce bouquin avec circonspection, craignant le syndrome du « je sais que je fais un chef d’œuvre, regardez-moi !« , au bout de quelques pages, cette peur s’étiole, et on se prend juste chaque page en pleine gueule.
Le premier grand livre de l’année 2014, qu’on se le dise !
Si vous avez aimé…
(Et pas juste pour la ressemblance des couvertures…)
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