Cigish a d’abord été un blog qui fit son petit bruit dans le monde de la BD. Mettant en scène Florence Dupré La Tour (auteure de Capucin, Forever ma sœur ou encore Borgnol), la voici désormais éditée chez Ankama, ce qui vu le contenu global relève d’une gageure éditoriale.
Florence a une petite vie rangée, loin de ses aspirations de jeune adulte. Elle qui tente, vaille que vaille, de vivre de la BD depuis plusieurs années, se traine. Entre la démotivation, le manque d’argent et les difficultés du marché, elle ne sait plus vraiment comment aborder sa vie professionnelle. C’est lors d’un enterrement qu’elle a le déclic : amatrice de jeu de rôle, elle y a développé un personnage de mage maléfique particulièrement retors, Cigish ; et si Florence, la gentille, la brave Florence, celle qui se laisse pourrir la vie, cédait sa place à la hyène définitive qu’est Cigish ? Commence un jeu schizophrène, dans lequel se mêlent la réalité et la fiction, des personnes réelles et inventées, un blog alimenté par des commentaires réels et du trolling de haut niveau…
Cigish, c’est une sorte de grand foutoir, d’exutoire à ciel ouvert, dans lequel une jeune auteure un brin larguée, qui semble en phase de pré-dépression, envoie tout bouler : il n’y a pas de fil rouge ou de narration traditionnelle, le chapitrage est chaotique. Et le principe ? Être méchant. Mentir. Manipuler. C’est là tout le charme et les limites du concept : car si le lecteur, souvent, jubile devant la nouvelle saleté inventée par Cigish, il ne peut s’empêcher de se demander à quel moment on lui ment. Car il est difficile de croire tout ce qui est déroulé sous nos yeux : transformer ses gamins en voleurs, se faire passer pour une medium, créer une névrose auprès d’une de ses élèves d’une petite phrase bien placée… Une mise en abîme qui laisse pantois, et nous permet de découvrir la vie de la narratrice : sa frangine jumelle, qui part au quart de tour dès qu’un plan foireux se met en place, ses réunions avec des éditeurs, dont elle ne fait que rarement l’éloge, ses journées de cours à Émile Cohl (l’école de BD la plus réputée en France) avec ses élèves qui commencent à suivre son blog. Et au détour d’une page, une réflexion, une phrase, qui amène vers autre chose…
Si l’on connaissait son graphisme rond, parfois grotesque, depuis Capucin ou Borgnol, on sent ici un soin plus particulier apporté au dessin. Ne serait-ce que pour trouver une petite ressemblance pour les personnages existants (quand à l’autoportrait de l’auteure, sa vision de Cigish est juste hilarante de fourberie caricaturale), ou leur donner une identité remarquable (son Patrice, chasseur de dédicace adipeux et vieux garçon, est d’un réalisme cruel et implacable).
La part de masochisme et de prise de risque est étonnamment élevée, et l’espèce de frénésie sans limite de l’auteure et de son alter-ego maléfique mérite en tout cas une lecture curieuse et ouverte. Et probablement une relecture. Il est d’ailleurs à noter que la préface est de Fabrice Colin, excellent auteur de l’imaginaire français, une caution qui ne surprend plus du tout une fois le bouquin refermé…
À découvrir, l’autocritique cinglante dont elle se rend victime… Un régal de dérision.
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