Alors que l’actualité nous apprend qu’en Australie, les Blancs viennent de refuser de donner une Voix au peuple Aborigène. Alors que partout dans le monde, les ravages de la colonisation sont mis en lumière et que toutes les Nations doivent faire un examen de conscience, alors que certains pays s’agrippent à des privilèges qu’ils ont crées de toute pièce et que d’autres commencent à peine à épeler le mot mea culpa.
Il y a longtemps que la Parole gronde, il y a longtemps qu’elle formule, il y a longtemps qu’elle exprime, qu’elle chante et qu’elle hurle. Mais nous ne l’écoutions pas… Nos mains bien campées sur nos oreilles, voilà qu’enfin nos doigts s’écartent et qu’un murmure nous parvient… Nous? Oui, nous: peuple majoritairement Blanc, peuple colon, peuple envahisseur. Je suis une petite suissesse, l’Histoire de mon pays n’a pas d’empire colonial à revendiquer et pourtant je me sens concernée, je me sais privilégiée. Parce qu’il y a longtemps que j’ai ouvert mon cœur et quand on écoute avec, on ne peut être qu’être touché, et révolté par tous ces destins bafoués.
J’aimerai vous parler de Michel Jean, de ses livres, du peuple Innu et des outrages qu’il a subit mais aussi de ses forces, de ses traditions, de ses espoirs et de ses combats.
Michel Jean est un écrivain et journaliste québecois, plus précisément, il est Innu. Les Innus sont un peuple autochtone d’Amérique du Nord et dans leur langue ce mot signifie tout simplement « être humain ». Depuis 1814 et l’adoption de l’Acte des Sauvages, la communauté innue et ses traditions sont niées par les missionnaires. On appelle ça l’assimilation: les croyances sont effacées pour être remplacer par le catholicisme, les langues par le français et l’on retire toute trace de leur culture, jusqu’au prénom des gens.
Ma première rencontre avec Michel Jean s’est faite au travers de son arrière grand-mère, Almanda Siméon et de son livre Kukum, qui, en langue innue, signifie grand-mère et cette kukum est inoubliable!
Almanda est une orpheline québecoise d’origine irlandaise, elle n’est pas innue. Elle a 15 ans quand elle rencontre Thomas, jeune Innu de l’immense lac Pekuakami. Et c’est l’amour qu’ils rencontre ensemble. Almanda quitte les siens pour suivre Thomas dans cette existence nomade, brisant bientôt les carcans imposés aux femmes autochtones pour apprendre la chasse et la pêche. Ancré dans une nature omniprésente, sublime et très vite menacée, son destin se mêle alors à celui, tragique, d’un peuple ancestral à la liberté entravée. Kukum est au crépuscule de sa vie et dans ce livre elle raconte… Elle se raconte, et en marge de sa vie elle conte l’Histoire du monde… C’est une histoire à la première personne qui devient au fil des mots une histoire universelle. Kukum a un cœur sans limite, une voix tendre et des souvenirs fabuleux. C’est sûrement là la plus grande force de Kukum, elle est d’une bienveillance incroyable. Jamais niaise, jamais facile, elle raconte tout, avec une tendresse folle; des subtilités de la culture qui l’accueille aux violence que ce peuple subit. Michel Jean offre un hommage délicat à sa Kukum mais également un roman d’une sincérité bouleversante, pure et digne.
L’auteur continue de nous présenter sa culture avec deux autres ouvrages tout aussi intenses et beaux: Maikan et Tiohtiá:ke.
Maikan est le roman qu’il vous faut pour comprendre la politique d’assimilation. En 1936, Virginie, Marie et Thomas ont à peine 14 ans quand ils sont arrachés à leurs familles sur ordre du gouvernement canadien. Pourquoi? Parce qu’ils sont Innus, donc sauvages, et qu’ils doivent être éduqués et civilisés. Pour ça, les autorités ont tout prévu; ils sont conduits dans un pensionnat, à près de mille kilomètres de chez eux. Là-bas, il leur est interdit de parler leur langue, leurs cheveux sont rasés, leurs objets personnels confisqués. Chaque jour, les coups pleuvent : tout est bon pour « tuer l’Indien dans l’enfant ». Ils ne sont désormais plus qu’un numéro. En 2013, une avocate, Audrey Duval recherche des survivants de cette époque. Elle rencontre Marie, une vieille Innue, qui va lui raconter tout ce qui s’est passé à Fort George, les violences au quotidien, mais aussi l’amour et l’amitié. Si dans Kukum votre cœur se gonfle de tendresse pour ce personnage si lumineux, avec Maikan c’est mâchoire et poing serrés que vous lisez les atrocités commises envers ce peuple. Et pourtant, encore une fois l’auteur parvient à glisser de la tendresse dans ses pages. Aucune rage manichéenne alors que nous, lecteurs, la réclamons. Il crée une empathie totale, une osmose avec ces trois enfants et nous, que l’on ne peut que les garder dans nos cœurs, à jamais.
Le dernier roman de Michel Jean se situe à notre époque, à Montréal qui en langue mohawk se dit Tiohtiá:ke. Précédemment, nous avons parcouru l’Histoire de ce peuple. Dans ce livre, nous rencontrons les conséquences. Elie Mestenapeo, un jeune Innu, sort de prison. Il y a dix ans, il a tué son père, alcoolique et violent, dans une crise de rage. Pas encore trente ans, banni de sa communauté, il prend la route pour la ville où il va trouver une nouvelle communauté; celle de la rue, des SDF autochtones, invisibles parmi les invisibles. Parce que oui, même parmi les fragiles il y a des plus fragiles. Parce que oui, quand on est à la rue ET Innu, on est encore plus pauvre, plus isolé, c’est la double peine. Dans ce roman, la plume se fait plus vive, plus essentielle. Parce qu’elle décrit l’actualité, l’urgence d’aujourd’hui et les résultats des traumatismes d’autrefois. Michel Jean nous raconte le quotidien de ces êtres fracassés, fait d’alcool et de luttes, et les conséquences du colonialisme sur les membres de différentes communautés des Premières Nations. Ils étaient peuples nomades, à Tiohtiá:ke ils sont devenus des « itinérants ». Si on ressent l’urgence de cette réalité, encore une fois l’auteur parvient à souligner les solidarités, la poésie et l’espoir. Toujours pas d’apitoiement au fil des pages, mais plutôt le constat alarmant et désarmant d’un peuple qui doit encore trouver sa place et définir son identité, dans son propre pays en 2023…
Pour continue sur le sujet, voici trois ouvrages que j’estime essentiels pour comprendre, apprendre et être solidaire. Trois ouvrages qui parlent au présent.
Les Inuits du Groenland
les Denes du Grand Nord
Les Spokanes amérindiens
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