Dernier été
La fin d’un homme selon Franz-Olivier Giesbert
Le plus troublant est que les organes les plus « aqueux », si j’ose dire, sont le cœur et le cerveau. La meilleure définition de l’homme (ou de la femme) : deux ou trois rêves dans beaucoup d’eau. À moins que ce ne soit celle-ci, d’actualité en ces jours de transpiration maximale : de l’eau qui coule au milieu du temps qui passe.
En 2030, les actualités sont plutôt pessimistes dans l’hexagone.Les émeutes et la violence augmentent proportionnellement à la température. La bien-pensance est de rigueur et la censure des œuvres artistiques se veut de plus en plus drastique. L’interdiction de l’humour, qui enfreint le code éthique du pays, oblige les humoristes à changer de métier. Seul un petit groupe d’intellectuels s’insurge et rien ne semble freiner la dictature qui s’installe progressivement. Le président à vie ne recule devant rien pour lisser la population et la rendre insipide.
La narratrice vit à Marseille, se baigne dans une mer trop chaude où les poissons meurent. Lassée des hommes, elle tient à sa liberté et à son autonomie. Chez elle, personne n’y vivra, mis à part son chat. C’était sans compter sa rencontre avec Antoine, reconnu dans le monde littéraire et défenseur public de la bonne moralité des œuvres artistiques. Détesté par les poètes épris de liberté, il devient pour certains l’homme à abattre ( pour Antoine l’homme à abattre c’est plutôt Michel Houellebecq ). Diane lui plait c’est certain, et en un sens elle voudrait bien lui résister. Mais les jours passent et elle succombe, devenant la muse de son dernier chef-d’oeuvre. Car Antoine le sait, ce sera son dernier été.
Franz Olivier Giesbert nous offre une satire mordante qui prend position dans les débats écologistes, politiques et moraux qui grandissent actuellement. Il se veut féroce mais laisse ses personnages adoucir son sombre bilan du monde. Car à la veille de l’apocalypse, il nous offre aussi le dernier écrit sur le dernier amour du dernier été d’un homme.
Requiem pour une ville perdue
Mélancolie à Istanbul
Militante en faveur des Droits de l’Homme, Asli Erdogan est une romancière turque. Le regard qu’elle porte sur le monde, elle le distille dans ses romans aussi poétiques les uns que les autres. De Genève à la Turquie en passant par le Brésil, de l’anthropologie à la physique nucléaire, Asli Erdogan multiplie les angles de vue et se bat pour défendre ses idées. Ses engagements politiques lui ont d’ailleurs valu un petit détour en prison. Sensuelle et féministe, c’est une autrice à suivre.
Requiem pour une ville perdue, est un court texte découpé en 12 chapitres. Chacun de ces chapitres se rapporte à un moment précis de la vie de l’autrice. Connue pour ses idées progressistes, elle s’ouvre à son lecteur en lui livrant ses réflexions les plus intimes. Elle raconte l’exil, la perte progressive de la liberté de son pays natal, la douleur de vivre …
Rares sont les plumes si poétiques et si puissantes. La présence et la place de sa mère, sa vie en Turquie… Asli Erdogan évoque la difficulté d’être née femme dans ce pays qu’elle garde précieusement au fond de son être. Car si la vie peut y être difficile, elle reste amoureuse d’Istanbul, cette ville dont elle conserve l’emprunte et les saveurs. Une plongée dans des pensées qui nous touchent en plein cœur, des fragments à lire au hasard des pages.
Je suis faite de mille gouttes de lumière, du sang qui coule sur la terre, de la poussière d’étoiles au désert épandue, de la mélodie évanouie du chant des commencements… Je suis la somme de tout ce que l’on m’a et ne m’a pas donné, de ce que j’ai perdu et de ce qu’il me reste à perdre, du sang des mots et du silence des lèvres… Je suis l’irracontable que cache toute histoire incessamment contée, je suis la patience obstinée de la graine enfouie dans le sable, je suis le désert attendant la pluie, je suis le regard longtemps posé, d’un bout à l’autre du néant, je suis de toutes les fins le chant qui cherche en vain sa mélodie… Et nul, à ce jour, n’a vu mon visage dévoilé.
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