Si François Bégaudeau a choisi de nous parler d’amour, de cet amour vrai, du banal et pourtant de celui qui demeure, Claire Berest fait le même choix mais de cet ordinaire, de ce couple qui dure, elle raconte l’envers du décor. Quand l’amour se fait possession, quand la complicité tourne au tragique, quand l’un annihile l’autre. Les deux auteurs ont un point commun; ils parviennent à raconter le quotidien… Dans le roman de Claire pourtant, ce quotidien est une réalité bien moins heureuse…
Étienne est correcteur dans l’édition. Avec sa femme Vive, photographe délicieusement fantasque, ils forment depuis dix ans un couple solide et amoureux. Parisiens éclairés qui vont de vernissage en concert classique, ils sont l’un pour l’autre ce que chacun cherchait depuis longtemps. « Les contraires s’attirent parce qu’ils se rassurent et colmatent les brèches. » Étienne et Vive ne sont pas l’idéal romantique de l’amour, non, ils sont normaux, avec des failles et des agacements; ces petites dissonances connues par tout couple de plus de trois ans. Mais ils donnent le change, font avec, l’un s’adaptant plus que l’autre, on imagine à tour de rôle. Rien exceptionnel mais parfaitement représentatif de ce qu’on attend d’un couple heureux. Pourtant quelque chose va faire dérailler cette parfaite partition.
« Il était alors impossible d’imaginer que trois jours plus tard, dans la nuit de jeudi à vendredi, Étienne tuerait sa femme. »
Dès le début, la fin est connue. Dès le début, Claire Berest nous dresse le compte à rebours vers le point de non retour. Dès le début on sait… Et on assiste, impuissant et pourtant participant, à cette fin inéluctable, puisque annoncée: un féminicide.
On passe par une foultitude d’émotions, alors que dans ce roman il y en a peu… C’est là la force d’écriture de l’autrice. Pas de passionnel, pas de rupture éternelle ou de haute trahison. Rien de fusionnel qui rendrait tragique ce meurtre. Non, c’est la description chirurgicale et totalement maitrisée de la banalité des féminicides. Juste la froide violence sourde qui prend le dessus, quand un détail infime, comme « l’épaisseur d’un cheveu » peut faire vriller un homme et laisser toute la place à sa part d’ombre.
Tout se déroule sur trois jours. Trois tout petits jours où le couple se divise peu à peu, sur des banalités, des détails de la vie, des minuscules ressentis mais qui distillent un message bien précis: Vive risque de quitter Étienne et ça, il ne peut pas le supporter… Tout est millimétré, comme les sentiments d’Étienne, et si l’autrice nous dresse le portrait d’un homme éternellement angoissé, qui veut tout contrôler et qui se se sent perpétuellement persécuté, elle ne lui trouve jamais d’excuses, et le lecteur non plus. La réussite de ce roman réside en cela: Étienne est un homme normal, Vive, une femme normale, ensemble ils forment un couple normal et pourtant quelqu’un va mourir. Sans raison, sans fureur, sans infidélité, sans trahison, juste pare que le quotidien a appuyé sur une faille… Un puzzle ultra précis qui démontre à la perfection la possessivité, la domination et la haine qui en résulte.
Là où Claire Berest touche encore juste c’est que son roman n’est pas douloureux; elle ne joue jamais la surenchère ni n’exploite le drame pour vous bouleverser. C’est le sujet qui fait mal, pas le livre…
S’il y a bien quelque chose qui permet aux violences de perdurer, c’est l’indifférence. Sociétale ou personnelle, on a souvent tendance à fermer les yeux. Je vous glisse ici quelques liens pour vous informer, pour alerter ou pour parler.
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