Burntcoat se trouve à la lisière de la vieille zone industrielle de la ville, là où la berge de la rivière relie des pavillons ouvriers, des immeubles de commerce et des docks. Des amis habitant les quartiers victoriens trouvaient que j’étais folle de vouloir aller vivre de ce côté-là, jusqu’à ce que je leur explique combien d’espace il me fallait. L’histoire de cette bâtisse est incomplète, si bien que j’ignore quelle fut son affectation première. Entreposage, criée, transit de bestiaux et de marchandises remontés de l’estuaire, à moins qu’elle n’ait servi à la réfection des mâts. L’endroit
était presque en ruine quand je l’ai acheté, semé de fientes de pigeons, de canettes de bière et de préservatifs. Près de deux siècles de délabrement et d’usage illicite l’avaient marqué en profondeur et privé d’un classement au patrimoine, en sorte que son prix était accessible. Les
actes notariés ne donnent pas d’explication sur son nom
– quelque négociant éponyme ou bien un incendie. Ce nom, je l’avoue, m’a séduite autant que les dimensions du bâtiment. De telles considérations ne devraient pas entrer en ligne de compte, mais c’est le cas. Même rénové,
Burntcoat reste un entrepôt utilitaire, laid selon la plupart des canons, mais il se dresse tout à côté des chatoiements de la rivière – une vieille sorcière dans un lumineux miroir. Il arrive que des gens s’arrêtent dans la rue pour tenter de déchiffrer ce qui est inscrit sur ses briques.
Dans son dernier roman, Sarah Hall raconte l’histoire d’Edith Harkness, une sculptrice sur bois talentueuse. Elle travaille dans un gigantesque hangar nommé l’atelier de Burntcoat.
Cet atelier est un lieu clos, tout à la fois espace de travail et laboratoire intime.
C’est là qu’Edith décide de se retrancher avec Halit. Elle connaît à peine cet homme avec qui elle vit une passion dévorante.
Le roman se concentre sur la relation intense qui se développe entre Edith et Halit.
Nous avions presque vidé une bouteille de vin quand le premier plat est arrivé. La serveuse avait disparu. Sortant de la cuisine, tu es venu à notre table en tenant une coupe si délicatement qu’il aurait pu s’agir d’un nid. Les noisettes avaient été entourées de sucre épicé; chacune flottait à l’intérieur d’un contenant en verre. Tu as déposé la coupe au centre de la table, puis, bien qu’il ne fût pas posé de travers, tu as replacé mon couteau le long de mon assiette. Tes mouvements étaient empreints d’une grâce agile, comme un chat musclé dressé sur ses postérieurs. Le bleu de tes yeux miroitait, paraissait y avoir été saupoudré, comme s’il y avait derrière une plus grande masse de couleur. Je te dévisageais tandis que tu posais une succession de questions. Le vin était-il correct ? Étions-nous bien installées ? Est-ce que quelqu’un n’aimait pas le poulpe ?
Les amants entretiennent des rapports sans tabous qui se déroulent hors du temps et du monde pendant des semaines entières. Sur fond de pandémie fictive, Eros et Thanatos tissent la trame d’un récit impitoyable.
Malgré tout, la réalité finit par frapper à la porte de l’atelier. La maladie rôde et la destruction gronde à l’extérieur, tandis que les amours entre Edith et Halit restent fortes et indéfectibles.
« L’Atelier » de Sarah Hall est un récit intime, porté par une écriture d’une grande sensualité.
L’élément du roman qui m’a le plus fasciné et plu est la relation d’Edith avec sa mère.
Naomi, après avoir subi une hémorragie cérébrale lorsqu’Edith était enfant, doit redécouvrir son identité en étant privée de toute émotion.
L’hémorragie avait causé d’énormes dommages et la procédure thérapeutique avait entraîné ses propres conséquences. Une section bien précise de l’os avait été sciée et ôtée, découvrant le vide parfait entourant l’organe. On avait réparé le tissu, coupé le vaisseau et le flux sanguin avait été détourné. Contre toute attente, la rupture ne l’avait pas tuée. Naomi se remettrait, lentement, anatomiquement, mais quelque chose de fondamental avait été perturbé par le processus de réparation – la bibliothèque complexe de la pensée, de la mémoire, de l’émotivité, de la personnalité. On lui sauva la vie; on ne put sauver son moi.
Ce roman est un hymne à la puissance de la création et des sentiments dans un monde qui est au bord du désastre.
La beauté et la force de cet ouvrage nous inspirent tous et nous rappellent l’importance de suivre notre coeur et de vivre nos passions pleinement.
(Parution le 12 janvier)
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