Je vais commencer ce nouveau rendez-vous irrégulier (en gros, le même principe que la BDthèque Idéale de ma collègue Marie) par LE bouquin qui m’a ouvert les yeux à la BD dite « indépendante », moi qui ne jurais jusque là que par la BD classique, le comics et le manga (ce qui est déjà pas mal)… Cette chronique est une reprise de celle que j’ai écrite, il y a quelques années, sur le site BDGest.
Frederik Peeters, auteur des incontournables Koma, Lupus ou encore Aâma, s’est d’abord fait connaître de l’amateur de BD par quelques titres un peu oubliés, mais surtout par ce livre unique, cette tranche de vie bouleversante qu’est Pilules Bleues.
L’auteur se raconte ici, sans fausse pudeur mais sans exhibitionnisme. Sa première rencontre avec Cati, à l’aube de ses 20 ans, constitue la fondation de tout l’album. Car s’ils se perdront de vue, se retrouveront et finiront par se lier de manière indéfectible, c’est bien de cette soirée entre potes que tout est parti.
Frederik parle, avec sa tendresse et sa poésie coutumière, de sa vie avec Cati. Quel joli programme. Il faut cependant savoir que Cati a un fils. Et que lors du dîner aux chandelles inaugural, Cati a annoncé à Frederik leur séropositivité, à elle et à son fils.
Ou comment changer la vie de trois personnes en l’espace d’une seconde…
Loin de tout misérabilisme ou du moindre apitoiement, Peeters offre au lecteur une pépite unique, qui foule au pied tous les préjugés que l’on peut avoir concernant les personnes infectées. On peut vivre avec le virus HIV vissé au corps, il suffit d’une routine bien huilée, d’une hygiène irréprochable, et d’une confiance en l’autre qui permet de ne pas s’enfermer dans une méfiance quotidienne. La maladie est injuste, c’est une évidence, mais ce couple, avec ses hauts et ses bas, gère les situations de crise comme les petits bonheurs de la vie : avec amour, intelligence, et sans précipitation.
Une capote qui craque, ce n’est pas la fin du monde.
Le dessin de Peeters atteint ici un niveau d’excellence, avec ses encrages souples et tout en rondeur, et ses personnages dotés de grands yeux si expressifs… Tous les sentiments du monde se retrouvent dans le regard de Cati, quand elle interroge Fred sur son amour, sur la vie, ou quand elle ne l’interroge pas, mais demeure tout simplement à ses côtés. La délicatesse du trait ajoute ce supplément d’âme que seule une œuvre aussi personnelle peut offrir, et la poésie qui se dégage de chaque planche laisse rêveur. Ce ne sont pas le rhinocéros et le mammouth qui me contrediront…
Peeters a décidé, à l’occasion de la nouvelle édition cartonnée du livre parue fin 2013, de compléter l’ouvrage original (qui date tout de même de 2001), et de nous octroyer une dizaine de pages supplémentaires. Simple ajout marketing ? Que nenni, il donne ici la parole à Cati et son fils, 12 ans plus tard, et les laisse nous donner leur impression sur ce que le bouquin et son succès ont pu changer dans leur vie… Une initiative séduisante, bien qu’un peu courte.
Une œuvre absolue, d’une pureté rare, sans équivalent aujourd’hui encore. Essentiel.
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