L’année 2010 a tenu ses promesses. Malgré un enfoncement toujours plus profond du disque dans ce que l’on va appeler une mort lente, quelques albums, heureusement, justifient à eux seuls le dernier souffle d’une industrie qui peine à changer de millénaire. J’ai choisi 12 disques (un par mois), qui symbolisent le rock dans tout sa splendeur, un rock qui refuse de passer l’arme à gauche. Il est difficile d’établir un classement de 1 à 12, c’est pourquoi je vais démarquer LE disque de 2010 de tout le reste qui se situe plus ou moins sur un même pied d’égalité.
– Le lauréat 2010 est sans conteste le « Who killed Sgt Pepper » des Brian Jonestown Massacre. Le groupe, emmené par le bâtard americano-norvégien-britannique Anton Newcombe, livre ici un véritable album de rock indé, mêlant litanies psychédéliques, acid house et post-rock allumé. A la limite du foirage monumentale, les rois du cut-up coiffent tout le monde à l’arrivée en vous transportant dans son monde hallucinogène sur ce disque de l’année. Un carrosse étincelant transformé en citrouille pourrie où larves et parasites s’en donnent à coeur joie, la meilleure façon de décrire ce chef d’oeuvre. A posséder avant que lui-même ne vous possède.
– Le grand perdant des années 2000: The Coral. Adeptes des expérimentations musicales qui séparent artistiquement chacun de leurs albums, le groupe de Liverpool sait qu’il a tout d’un groupe intemporel. Ce « Butterfly house » vous donne rendez-vous dans 30 ans après avoir mijoté pas mal d’influence des 60’s. Un road-movie musical à bord d’une Bentley fenêtres ouvertes, la pluie et le « fog » vous mouillant de la tête aux pieds. Tout est beau dans ce disque, de cette pop-folk psychédélique bien british au visuel très évocateur. A coup sûr, un énième grand groupe incompris et têtu made in England.
– Si ce « Lonely Avenue » fait partie du palmarès 2010, c’est aussi parce qu’un couple improbable est à l’origine de l’album. Ben Folds, chanteur-pianiste lisse jusqu’à cette année et Nick Hornby, romancier britannique mondialement connu et parolier subtil et drôle, qui alchimisent leurs talents respectifs pour donner un album rétro moderne, où pop 70’s et ballades piano voix font passer Elton John pour un demeuré. Un roman musical américano-anglais qui a sa place dans votre discothèque, rubrique grand disque.
– Midlake a passé un cap cette année. Avec « The courage of others », ils font désormais partie des groupes qui peuvent mourir tranquille. Plus qu’inspirés par le folk des 60’s, la bande de Houston n’hésite pas à explorer la mélancolie et la tristesse dans cet album qui s’écoute d’une traite. En relecture de groupes oubliés mais fondateurs d’un genre, un tempo ralentit et une bonne dose de nostalgie propulsent Midlake au rang de premier de la classe. Une tornade musicale qui chamboule les époques.
– The National a assit sa réputation en 2010. Groupe à la classe exemplaire, il se fait trop rare en Europe. Guidé par la voix grave de son charismatique leader, The National réagit plutôt bien au temps qui passe. Entre spleen à paillettes et grave attitude, « High Violet » est une pièce maîtresse de la musique des années 2000, surfant sur des mélodies à la fois glaciales, noisy et romantiques. On sent dès le départ que l’album est maîtrisé de bout en bout, dense comme la brume sur un matin New-Yorkais, effaçant presque leur image négative de rockeurs intellos.
– Dans la famille de Dieu, je voudrais le fils. Jakob Dylan est celui-ci. Séparé des patauds « Wallflowers » à la carrière richement récompensée, Jakob calibre peu à peu ses pas sur ceux de son père. Celui que l’on qualifie désormais de « chantant à la Springsteen sur des mélodies de Dylan » prend son envol à grands coups de perles folk-rock pesantes comme un ciel orageux d’Arizona. Accompagné de l’enchanteresse Neko Case qui pose sa voix tel un voile sur les cordes ténébreuses du fiston Dylan, « Women+Country » respecte la succession d’une dynastie à la voix nasillarde qui fit basculer le Rock il y a bientôt 50 ans.
– Arcade Fire était attendu au tournant. Inventeur d’un genre aussi bouleversant sur scène que sur leurs disques, les quebecois au leader iroquois réussissent la passe de trois en imposant « The Suburbs » comme pièce maîtresse de leur discographie. Nécessitant une écoute approfondie, cet album qui transmet le cafard et le spleen des banlieues et des villes canadiennes rappel le meilleur des Cure et de My bloody valentine. Arcade Fire prend enfin la dimension qu’on attendait avec ce »The Suburbs », immense disque cérébral qui appuie un peu plus sur la face du Rock. La tête hors de l’eau, on les supplie de continuer ainsi.
– MGMT est un groupe audacieux. Deux ans après « Oracular spectacular », Les rois du « self-made » se (re)mettent à bosser, quoiqu’un peu gavés par ce succès inattendu qui semblait affaisser leurs frêles épaules. Que nenni, le talent, on l’a ou on l’a pas: eux en sont remplis. La perfection d’ensemble qui recouvre l’ironique « Congratulations » est très étonnante de la part de ces « gamins » de Brooklyn, qui savent également rester dans leur monde multicolore tout en maîtrisant le virage psychédélique des leurs aïeux. Auteurs d’un hymne intergénérationnel (« Flash Delirium ») qui emprunte le meilleur de chaque époque, MGMT s’est directement rangé dans l’univers des grands groupes en poussant le psychédélisme dans une nouvelle ère.
– Simplement mais sûrement, les Young Gods ont leur place au panthéon du Rock. Même si le marché du disque connaît une décrue numérique pour le moins déroutante, « Everybody knows » est la meilleure façon d’aborder une nouvelle décennie. Entre souffrance numérique, ballades spatio-temporelles et incantations électro-chamaniques, la bande à Franz Treichler n’a pas à rougir de son statut de groupe Suisse le plus reconnu à l’étranger. Avec l’âge, les Young Gods sont devenus plus Gods que Young mais heureusement, leur musique, elle, est éternelle.
– Au même titre que Midlake, les Black Angels vont passer un cap cette année avec leur troisième album. Au même titre que Midlake, les Black Angels viennent d’une bourgade ennuyeuse (donc inspiratrice) du Texas. Et au même titre que Midlake, les Black Angels se sont dorés le système auditif aux pilules de la fin des 60′s, les Doors, le Velvet Underground et les 13th floor elevators. « Phosphene Dream » nous réinjecte la sensation de faire du neuf avec du vieux sans passer par la case copie et sans traîner en longueur. Malgré tout, les Black Angels inquiètent volontairement, car comme pour toutes les formations qui pérennisent le mouvement, on se demande si la faucheuse aux yeux hypnotiques ne s’est pas penché un peu trop sur leur berceau.
– Dès 2004, tout le monde s’emballait au son des 22-20’s. Moins dandy dansant et mainstream que les Franz Ferdinand, The 22-20′s ne sont pas là que pour faire danser les filles, mais pour les emballer, les faire crier, les emmener non loin de là dans une chambre d’hôtel. Faux frères des Supergrass, leur veine bluesy-trash innonde volontiers les ondes FM de l’autre côté de la Manche. On est plus dans l’effet de surprise mais cet album est rempli de tubes potentiellement intemporels. Certes ils n’ont pas une discographie très fournie (2 albums c’est peu), mais d’autres ont mis moins de temps pour disparaître.
– Même si leur maladresse verbale a plombé leur carrière au début de la décennie, Kula Shaker fait partie des joyaux de la musique britannique. Après avoir démarré sur les chapeaux de roues et fait trembler le succès des pochtrons Gallagher, la bande à Crispian Mills s’est refait une santé. Ce nouvel album arrive sans prétention: exit les dents longues et les guitares fissurantes. Ce disque va puiser dans les 60′s, on croirait entendre à nouveau du label Island de l’époque bénie du Folk. Arpèges acoustiques et mélodies cotonneuses, pop aux faux airs baroques et longues complaintes aux allures post-rock chargent en émotion ce « Pilgrims Progress ». Un groupe qui a su devenir culte en 4 albums et qui remonte la pente doucement mais sûrement.
Et pour les non superstitieux qui ont encore faim, qui s’ennuient en francophonie et qui n’ont pas peur d’un treizième disque, une thérapie de BB Brunes est vivement conseillée. En 2010, l’égérie du mouvement « Baby Rockers » passe l’épreuve de la maturité les doigts dans le nez. Avec « Nico Teen Love », le groupe signe son album de bravoure, remplis de tubes plus inspirés les uns que les autres, implicitement influencés par les Libertines mais dieu merci chantés en français où leur leader Adrien Gallo fait des merveilles. Textes accrocheurs et entêtants tout en restant astucieux, refrains désormais cultes, shows carrés et énergiques… On n’a pas déjà connu ça avec Telephone? La France tiens son nouveau grand groupe, que dis-je, un véritable phénomène…
L’avantage d’une année de grands disques par rapport à une dégustation de vins, c’est qu’on n’est pas obligé de recracher à chaque découverte. Si vous ne trouvez pas votre bonheur ici, c’est pour deux raisons: soit vous êtes sourds, soit vous êtes morts. Joyeux Noël.
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