Je rebondis sur l’article de Didier (La soif du mal) pour faire une petite parenthèse sur la notion de plan séquence. Il en existe plusieurs définitions, celle-ci me semble correcte : Au cinéma, un plan-séquence est une scène (unité de lieu et de temps) filmée en un seul plan qui est restitué tel quel dans le film, c’est-à-dire sans montage.
Le plan séquence est avant tout un exercice technique périlleux, en effet quand on connait toutes les contraintes inhérentes à l’élaboration d’un simple plan cinématographique (lourd matériel d’éclairage, machinerie, fluidité du mouvement de caméra, précision du cadrage, justesse des comédiens qui doivent de plus jouer dans leurs marques pour que le premier assistant puisse pointer précisément, perche ou pied de projecteur pouvant polluer le champ, timing figuration…), on imagine sans peine le défi que constitue la mise en place d’un tel plan.
De grands réalisateurs sont passés maîtres dans l’art du plan séquence (Hitchcock, De palma, Scorsese, Kubrick, Welles…). Certains plans comme celui d’Orson Welles dans la soif du mal sont devenus célèbres et constituent un sujet inépuisable de discussions entre cinéphiles. D’une part pour comprendre les astuces de la mise en œuvre technique du plan, d’autre part pour justifier intellectuellement l’utilisation du plan. Souvenez -vous que pour certains (Godard) un simple travelling est une affaire de morale, alors imaginez les nuits blanches à justifier un plan séquence de 5 minutes !!!
Notons que beaucoup de plans séquences célèbres sont en fait découpés en plusieurs plans, les raccords ayant été judicieusement cachés par d’habiles subterfuges comme dans le filé d’un panoramique latéral sur un mur de couleur uniforme par exemple. (Le « faux » plan-séquence d’environ 13 minutes de Snake eyes de De Palma est en fait composé de 3 plans raccordés par traitement numérique).
Aujourd’hui avec la puissance des effets spéciaux numériques, on abandonne un certain côté artisanal pour réaliser des plans impossibles jusqu’alors (Panic room de Fincher dans lequel les plans sont liés entre eux par des éléments du décor reconstitué en 3D, Time and Tide de Tsui Hark où plus aucun obstacle ne vient freiner la caméra donc l’action…).
Voilà j’espère que certains laisseront un petit commentaire pour partager leur plan séquence préféré. Le mien est un plan séquence qui n’a pas été filmé et qui ne le sera jamais malheureusement.
Dans l’ouvrage de Noël Simsolo « conversation avec Sergio Leone », le Maestro dévoile l’ouverture des Neuf Cents Journées de Leningrad… le projet de film sur lequel il travaillait avant sa mort et qu’il ne tournera jamais. Les lignes qui vont suivre constituent mon fantasme cinéphilique ultime, je laisse le Maestro lui-même vous le décrire:
« Je commence par un gros plan des mains de Chostakovitch. Elles sont sur les touches de son piano…La caméra sera sur un hélicoptère, hors de la maison, et le gros plan sera pris au travers de la fenêtre ouverte. Nous voyons les mains qui cherchent les notes de la symphonie de Leningrad. Et le compositeur les trouve. Cette musique est répétitive. Elle commence avec trois instruments, puis cinq, puis dix, puis vingt, puis cent… et mon ouverture sera faite sur cette musique. En un seul plan séquence. Un plan séquence comme on n’en a jamais fait : la caméra quitte le gros plan des mains du compositeur. Elle va en arrière. Nous découvrons sa chambre. On en sort par la fenêtre. C’est la rue. L’aube. Deux civils sortent dans cette rue. Chacun porte un fusil. Et ils montent dans un tramway. La caméra suit le tramway. La musique continue. Le tramway s’arrête plusieurs fois. Des civils le prennent. Ils sont tous en armes. Enfin, le tramway arrive dans une banlieue. Il s’arrête sur une petite place où se trouvent déjà plusieurs autres tramways. Et, à côté d’eux, ce sont des camions qui attendent. Les tramways se vident. Tous les passagers étaient des hommes armés…pas de femmes. Les hommes montent dans les camions. La caméra suit les camions. Toujours la musique. Toujours le même plan. Pas de coupes. Pas d’inserts. Et nous arrivons devant les premières tranchées qui protègent la ville. La musique est de plus en plus forte. Il y a de plus en plus d’instruments. Les Russes s’installent dans les tranchées. Et, tout d’un coup, la caméra va vers la steppe. Immense. Vide. La musique monte de plus en plus. Jusqu’à ce que la caméra ait traversé la steppe pour prendre, en enfilade, mille blindés allemands prêts à tirer. Et, dès les premiers coups de canon, mêlés à la musique, je coupe ! Plan suivant : un rideau s’ouvre. C’est le concert de Chostakovitch. Cinq mille personnes dans la salle. Cent quatre-vingts musiciens jouent. Et alors :
GENERIQUE ! »
Laisser un commentaire