Crée cette année même, le premier Prix de la BD Fnac vient d’être décerné au Loup des mers de Riff Reb’s, édité chez Soleil, dans la collection Noctambule.
Passionné par l’océan et les navires, Riff Reb’s nous avait déjà servi A bord de l’Etoile Matutine en 2009, adapté du roman de Pierre Mac Orlan. Album au graphisme époustouflant et aux thématiques assumées, il n’était pourtant qu’un avant-goût de ce qu’allait être trois ans plus tard Le loup des mers, adapté lui de Jack London.
Humphrey Van Weyden, homme de lettres, devait simplement se rendre de l’autre côté de la baie de San Francisco. Mais à la suite d’une tempête inattendue, le bateau sur lequel il voyage fait naufrage. Passant par là, le Fantôme, navire de pêcheurs de phoques en partance pour les côtes japonaises, recueille Humphrey. Il croit que le pire est derrière lui, mais il va vite réaliser que Loup Larsen, le capitaine, ne détournera pas sa route pour revenir déposer le naufragé à San Francisco et qu’il est beaucoup moins commode qu’il n’en a l’air. Humphrey va alors devenir matelot de gréement et vivre plusieurs mois sans fin sur le Fantôme.
Récit initiatique darwiniste à souhait, Le loup des mers est un chef-d’œuvre. Le duel philosophique et existentialiste entre Humphrey et Loup Larsen est d’un passionnant rarement atteint, que ce soit en littérature ou en bande dessinée. D’un côté, il y a l’homme de terrain (ou devrais-je dire de mer), celui qui a vu mourir, qui a tué, qui survit à chaque instant et qui a connu les recoins les plus sombres de la vie. Celui-ci croit à la loi du plus fort, à la domination de l’homme par l’homme. C’est ainsi qu’il vit à bord du Fantôme et c’est grâce à ce mode de pensée que lui et son équipage sont encore à flot. Mais ce n’est pas une brute pour autant. Sa cabine est remplie de livres portant les noms des plus grands auteurs de l’époque : Shakespeare, Tennyson, Proctor, De Quincey et bien-sûr Darwin. De l’autre côté, il y a un homme aisée, critique littéraire et grand lecteur de philosophie moralement correcte, celui qui n’a eu qu’une vie facile, confortable et éloigné de toutes épreuves physiques ou psychologiques. Celui-ci n’a jamais eu à se poser de question sur la façon de mener sa vie et sait qu’il devrait la finir en toute quiétude. C’est ainsi qu’il se retrouve plongé dans un monde brutal où les actions et les décisions difficiles sont les maîtresses du jeu. Mais heureusement pour lui Darwin a raison et il va devoir évoluer, s’adapter à ce nouvel environnement pour devenir petit à petit second de Loup Larsen, le tout au rythme de joutes verbales et philosophiques endiablées entre les deux hommes d’horizons diamétralement opposés.
Considéré comme un des plus grands auteurs du XXème siècle, Jack London nous livre ici un florilège de ces thèmes de prédilection en opposant encore une fois la force de la nature aux faux-semblants de la civilisation. De son côté, Riff Reb’s met ses talents de narrateur et d’illustrateur au service de cet écrivain qu’il admire tant et nous offre un tour de force éblouissant. Principalement caractérisé par sa puissance d’évocation, le style de Riff Reb’s prend ici toute son ampleur. Le dynamisme du trait, les ambiances saisissantes de chaque chapitre, les couleurs usées et souvent oppressantes, la puissance symbolique des situations : tout s’accorde et s’emmêle à la perfection. Un coup de maître et un prix plus qu’amplement mérité !
Et je finirais avec un extrait de la préface, signée par Riff Reb’s lui-même :
« Et cet incroyable bilan n’est pas suffisant car un auteur n’est pas seulement la somme de ses œuvres et de ses actes, mais aussi celle de ses obsessions, de ses égarements, de ses rêves, ainsi que de la cendre de ses illusions. Cendres refroidies qui nous réchauffent encore comme ces étoiles éteintes depuis des millénaires qui, à nos yeux, brillent toujours. »
Laisser un commentaire