La lecture de Tyler Cross m’a donné envie de vous faire découvrir quelques albums supplémentaires de Brüno, auteur et dessinateur atypique qui créé bédé après bédé une œuvre très cohérente et totalement à la marge d’une production mainstream. Ces influences sont multiples (un coup d’œil aux remerciements dans Lorna est instructif) et du coté des « mauvais genres », ceux qui ont alimenté une production florissantes de séries B et Z à une certaine époque. Et puis il y a son dessin que je goûte avec délectation. Gamin, j’étais fasciné par le trait de Jack Kirby et j’éprouve le même plaisir avec celui de Brüno, allez savoir pourquoi… Il y a quelque chose dans son geste qui relève d’une forme d’aboutissement : tout y est très synthétique. Personnages et objets ont une présence immédiate et très frontale avec une étonnante économie de moyens.
Enfin, il ne faut pas chercher à expliquer cette « envoutement » mais plutôt le laisser agir.
Editions Glénat, label « treizeétrange »
Nemo est le personnage le plus fascinant créé par Jules Verne, on comprend que Brüno s’en empare pour nous livrer une version somme toute assez fidèle au roman. A bord du Nautilus, un sous-marin hors norme, le capitaine Nemo, qui a tourné définitivement le dos au monde dit civilisé des hommes, parcourt les océans à la recherche de nouvelles formes de vie dans des zones encore inexplorées. Son aventure scientifique se double d’une volonté farouche de préserver ces merveilles inviolées de la bêtise humaine. Pour cette raison il n’hésite pas à harponner les navires qui le prennent en chasse et finalement à semer la mort à son tour… C’est en récupérant trois naufragés dont le célèbre professeur Aronnax que le capitaine introduit le vers dans le fruit. Le Nautilus offre tout le confort nécessaire pour faire un long voyage mais cela n’est ni plus ni moins qu’un tube d’acier et au bout d’un certain temps les trois acolytes se sentent à l’étroit, surtout Ned Land maitre harponneur au caractère bien trempé qui va multiplier les tentatives d’évasion… Le trait de Brüno traduit à merveille la beauté des fonds marins comme l’implacable machinerie des navires de guerre. Un charme très particulier insuffle le récit qui ne s’épuise pas à la première lecture.
Une première pépite bleutée.
Editions Vents d’Ouest, collection « Les Intégrales »
Septembre 1972, la guerre des gangs fait rage à Inner City. Arnold et Willy, deux frangins malfrats, sont embauchés par Yaphet Kotto, un caïd affaibli, pour « faire le ménage » et permettre à ce dernier de retrouver des galons auprès de ses collègues. Dans cet univers d’entourloupes permanentes l’habileté des mots n’a d’égal que celle du flingue et celui qui manie les deux avec dextérité atteint les sommets ! Hommage appuyé aux seventies version blaxploitation, Inner City Blues doit se lire avec la BO de Shaft en fond sonore ! Brüno nous livre le catalogue raisonné de ce que l’Amérique à produit à cette époque en musique, cinéma, art, mode, alimentation… Les cases fourmillent de détails et c’est un jeu de piste que de les trouver tous ! L’auteur à pris un plaisir fou à dessiner les tenues vestimentaires, les belles voitures et les filles se déhanchant sur le dancefloor. Quelques références incontournables du film de gangster comme la traque dans une gare de chemin de fer ou la fusillade dans des entrepôts désaffectés pimentent le tout. Inner City Blues est avant tout un régal visuel, une débauche d’ambiances et de couleurs (bravo Laurence Croix) qui réveillera dans tout trentenaire (et plus) qui se respecte quelques moments heureux passés devant la lanterne magique.
Une deuxième pépite aux reflets kaléidoscopiques.
Editions Glénat, label « treizeétrange »
Les laboratoires Lex-Butol viennent de mettre au point le « priaps », la pilule miracle qui permet aux hommes de prolonger leurs ébats sexuels jusqu’à plus soif ! Mais Henri Luxe-Butol, assoiffé de reconnaissance paternel et, accessoirement de pouvoir, ne serait arrivé à ses fins sans l’aide de William Machin, scientifique génial mais naïf. Pendant que Machin bosse Henri matte les films X de sa copine Tamara Teets… Dépossédé de son invention Machin va se venger en inoculant à Henri un virus de sa création, ma foi plutôt original : « Je t’ai injecté une version améliorée de priaps, que j’ai couplée avec de l’ADN de tarentule génétiquement modifié… » Hé hé hé… Ca promet ! Surtout que le petit Machin va vendre ses services et ses folles inventions à l’armée américaine. Dans son délire de domination totale l’homme est prêt à tout mais on ne joue pas impunément avec Dame Nature et cet apprenti démiurge devra en payer les conséquences…
Une nouvelle fois Brüno nous régale d’un ODNI* dont il a le secret ! En bichromie son récit acquiert une dimension intemporelle, et sous la farce apparente, il nous gratifie d’une vision sombre et bassement désespérante des aspirations humaines.
Une troisième pépite orange.
*Objet Dessiné Non Identifié
Si vous avez aimé, prolonger la lecture en découvrant d’autres albums de Brüno tout aussi réjouissant :
Editions Glénat
Laisser un commentaire