Remettons les choses dans le contexte. Trois ombres est sorti en 2007, avant Autobio, mais surtout avant Portugal. Quand Pedrosa publie ce roman graphique en noir et blanc, personne ne l’attend. La collection Shampooing est déjà bien installée, mais n’a pas encore eu son best-seller, sa locomotive, LE bouquin qui en fera une collection de prestige, ou en tout les cas incontournable. En 2007, il en sortira 3 : Île bourbon, de Trondheim et Appolo, Chroniques birmanes, de Delisle, et celui qui nous intéresse, Trois ombres, de Pedrosa. Portrait…
Louis, Lise et Joachim forment une petite famille ordinaire. Heureux de leur vie tranquille, des petits plaisirs qu’ils s’octroient sans même y penser, ils profitent simplement de l’instant présent. Une nuit, pourtant, Joachim se réveille en proie à une panique inexplicable : trois ombres, trois étranges cavaliers, se profilent à l’horizon. Lorsque Louis, en bon père, fonce vers elles pour en avoir le coeur net, elles s’évanouissent dans la brume. Angoissée elle aussi, Lise décide d’aller voir la vieille Suzette, sorte de rebouteuse-psychologue de la ville voisine. Celle-ci a une mauvaise nouvelle : les trois ombres seraient venues pour leur fils, pour Joachim, et il n’y aurait rien à faire… C’est compter sans l’opiniâtreté de Louis, qui embarque son fils dans un voyage fou pour échapper à leur destin !
Relire Trois ombres après tant d’années fait un bien fou. Les lecteurs se plaignent sans arrêt du manque de nouveautés de qualité, c’est du déjà vu, du déjà lu, rien ne surprend plus… Il convient donc d’aller jeter un œil à ce qui est déjà sorti, ce qui reste original, atypique, et ce qui fait désormais partie du patrimoine de la BD. Ce pavé en est. D’un point de départ aussi poétique que mélancolique, hors du temps, Pedrosa repousse les limites du conte pour en faire une allégorie fabuleuse et puissante du deuil. Tragédie antique, épopée lyrique, striée de moments d’une trivialité bon enfant ou sordide, voici un ouvrage qui mélange allègrement les genres et les codes, et secoue son lecteur sans ménagement. L’angoisse du parent pour son enfant, le refus de l’inéluctable, le deuil immédiat, brusque, et les bouffées de tristesse qui touchent ceux qui sont encore là, même des années après la disparition de l’être cher… C’est raconté avec douceur et intelligence, mais sans moins de force.
Et si son récit fonctionne avec autant d’impact, c’est bien parce que Pedrosa-scénariste a trouvé en Pedrosa-dessinateur l’incarnation parfaite de son besoin de rêveries. Face à la tragédie du thème abordé, il fallait bien la folie, la rondeur et la dynamique d’un ancien animateur de chez Disney (ce qu’est Pedrosa). Ses personnages sont touchants, visuellement riches et attachants, et offrent au lecteur une accroche bienvenue au milieu de tant d’onirisme.
Trois ombres, c’est donc l’explosion d’un auteur. Le genre de bouquin marquant, qui laisse des traces, et se relit à froid avec autant, si ce n’est plus, d’intérêt.
Un authentique chef d’œuvre, primé au festival d’Angoulême en 2008.
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