Scott Snyder fait partie de ces auteurs que l’on peut suivre aveuglément. Même ses titres moins réussis restent plaisants, et contiennent ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence. Alors après The Wake, Batman et American Vampire, quand le bonhomme s’attaque au mythe des sorcières, en le mixant avec ses propres angoisses de père, on retient sa respiration, et on y va…
Les Rooks sont une petite famille banale, si ce n’est que leur fille Sailor semble déborder d’imagination, et attirer sur elle l’attention des mauvaises personnes. Pensez-donc, victime des violences d’une camarade, elle prétend l’avoir vue se faire avaler par un arbre ! Démunis, les parents décident de se mettre au vert, dans une bourgade tranquille proche d’une forêt ancestrale. Mais se sont-ils éloignés d’un danger, ou en ont-ils trouvé un autre ?
Parler d’une figure aussi exploitée que les sorcières, c’est risquer de faire du déjà vu. Mais si Snyder avait réussi à déringardiser les vampires avec son American Vampire, il décide de passer la vitesse supérieure avec Wytches : c’est noir de jais, d’une brutalité ténébreuse et viscérale, et pourtant le fond dégouline d’humanité. Sa mauvaise part, certes, mais l’humanité malgré tout. Car sous le vernis social se cache le véritable monstre, votre voisin, le membre de votre famille, qui décide de vous sacrifier car il espère quelque chose en retour. Ce mauvais père qui pense éduquer sa fille en la brusquant. Ce fils qui laisse sa mère crever devant ses yeux, car une promesse est une promesse… Si l’influence du cinéma fantastique (Le projet Blair Witch le premier, mais aussi 30 jours de nuit, REC ou même Mama) est prégnante, elle s’efface devant le talent de narrateur de Snyder. Mélangeant avec conviction des séquences effroyables à des dialogues riches et des séquences de flash back montant en puissance au fil des pages, le scénariste s’attaque aussi à un sujet qui le touche, la paternité. Car quand Stephen King écrit Shining, c’est bien la peur d’un père face à un enfant qu’il ne comprend pas qu’il décrit. De la même manière, Charles Rooks panique face à une fille trop imaginative, trop éloignée des contingences matérielles, et il choisit parfois la mauvaise option…
Jock, de son côté, amène ses fulgurances visuelles, cet univers qui lui est propre et qui baigne d’une lourdeur macabre chaque plan, chaque case. Ses personnages sont reconnaissables d’un coup d’œil, mais vivent leurs vies, accidentés, secoués. Les fameuses sorcières, enfin, sont dignes de Lovecraft : peu montrées, elles évoquent les grands anciens du vénérable créateur de Cthulhu, mais conservent aussi cette bestialité, cette virulence sans limite qui amènent le lecteur vers un autre segment de la littérature fantastique. Nous ne sommes pas les premiers, et si ceux qui nous précédaient ne sont pas des Dieux, ils ne nous veulent pas de bien, au contraire… Les couleurs de Matt Hollingsworth font corps avec l’esthétique rageuse de Jock, et, gage de reconnaissance, l’éditeur lui a offert une place sur la couverture, ce qui reste rare dans l’édition comics et BD.
Wytches, c’est la réconciliation de la Terreur avec le comics. Car si le fantastique s’y est fait une belle place, réussir à amener le malaise et le frisson du dégoût et de l’angoisse en tournant la page avec appréhension, c’est un exploit qui mérite à lui seul la découverte d’un bouquin en diamant noir. Il est à noter que ce titre intègre la collection Indies de Urban Comics (collection qui est en train de regrouper un panel invraisemblable de titres de qualité, Trees, Saga ou Hit les premiers), et bénéficie de l’adaptation impeccable de Jérôme Wicky.
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