Komikku, c’est une librairie devenue éditeur. Après Tonkam, après Vegetal Manga, rien de bien original, me direz-vous. Mais Komikku, c’est surtout une structure encore jeune et réduite, qui arrive à mettre la main sur des titres parfois hors norme. Ki-Oon arrive aussi à bloquer des séries dès le début de leur parution japonaise (de l’intérêt pour un éditeur de lire le japonais, et donc de bouquiner les séries dès le début de leur prépublication, sans attendre les volumes reliés comme auparavant), Komikku suit donc le même modèle, avec des moyens plus réduits, mais le nez tout aussi fin. Leur dernière pépite en date ? The Ancient Magus Bride, déjà au tome 4 en français (5 au Japon), qui commence à tutoyer les sommets dans les tops des ventes au Japon, et vient de se voir octroyer une adaptation animée… La consécration. Mais de quoi ça parle-t-il donc ?
Chisé est une jeune fille d’apparence ordinaire, mais au passé lourd et tragique. Orpheline mal-aimée des autres membres de sa famille, elle est baladée de foyer en orphelinats, et ne comprend pas réellement le désamour dont elle est victime. Mais alors qu’elle songe de plus en plus à en finir, elle se retrouve au fin fond du désespoir : elle est vendue aux enchères, telle une esclave ! Mais à sa grande surprise, elle est très demandée, et se retrouve achetée par un étrange personnage qui ne semble pas humain, et souhaite faire d’elle son assistante… En sorcellerie !
Après Bride Stories, et alors qu’Arte fait aussi son trou, voici une nouvelle série mélangeant avec bonheur poésie, esthétique flamboyante et réel intérêt narratif. Mais là où les deux autres séries restent ancrées dans le réel, The Ancient Magus Bride déambule avec grâce de l’Angleterre victorienne (ou ce qui y ressemble fortement) à un monde féérique que ne renieraient pas Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles) ou Susanna Clarke (Jonathan Strange et Mr Norrell). Fantasy bucolique et poétique, elle est aussi une formidable série d’émancipation (avec une jeune fille qui se place volontairement en servage vis à vis de son maître, mais prend peu à peu son envol) et d’initiation (avec la découverte fascinante des règles qui structurent ce monde venu tout droit des anciens temps), et se rapproche en cela des modèles de littérature de mœurs.
Le dessin de Koré Yamazaki évolue dès les premières pages de sa série avec une aisance digne des plus grands, et la bonhomie qui baigne chaque planche détonne de la production habituelle (plus facilement épique ou aventureuse). Plus proche des séries de Kozue Amano (Aqua/Aria, Amanchu) ou une fois encore de Bride Stories ou surtout Emma, de Kaoru Mori, que des grandes fresques de fantasy (Seven deadly sins, Arslan, Berserk), l’auteure déploie des trésors de patience pour concevoir un univers séduisant et crédible, posé et apaisant, afin de mieux surprendre le lecteur lors des séquences d’action. Ce rythme atypique rend l’histoire passionnante à suivre, sans réellement tenter de prédire les évènements à venir tant on se laisse porter par la poésie qui affleure à chaque coin de page.
Il convient de souligner, une fois de plus, la qualité éditoriale : Komikku a mis les petits plats dans les grands, et a soigné la fabrication (beau papier, impression et jaquette de qualité), la traduction (signée Fédoua Lamodière) et la communication autour de ce titre (l’auteure a ainsi été conviée au lancement de la série en France, lors de la Japan Expo 2015).
The Ancient Magus Bride est un petit miracle, tant visuel que narratif, qui se permet de prendre à rebours 95% de la production habituelle. Destiné aussi bien aux ados qu’aux adultes, aux garçons ou aux filles, voici une saga qui s’annonce dès ses premiers volumes comme un classique instantané, hors gabarit et propre à séduire un public lassé par les sempiternels shonen d’action. Ici la poésie et la nature sont reines, qu’on se le dise !
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