Un bijou noir!
Vous avez pu rencontrer Robin Recht sur Totendom ou dans la série Elric
Il collabore avec Matthieu Angotti sur Desintegration et il semble que l’expérience leurs a plu puisqu’ils se lancent avec La cage aux cons dans l’adaptation graphique du roman de Franz Bartelt.
Album paru aux éditons Delcourt dans la collection Machination
C’est l’histoire d’une petite frappe que l’amour de sa vie a foutu à la porte. S’il veut revenir à la maison, ce sera les poches pleines de pognon. Réfugié au bistrot, il repère un type ivre mort. Un vrai con qui se vante d’avoir des millions dans son salon. Il décide de le cambrioler. Mais quand il plonge ses mains dans l’oseille, celles du con se referment sur un flingue. Le voilà séquestré chez un grand bourgeois, beau prince et beau parleur.
Fuir ou lui faire la peau ? Telle est sa question.
Un huis clos cynique, un peu vicieux aux dialogues succulents et truculents !
Le coup de crayon de Recht est somptueux, toutes ses variations de noirs sont éblouissantes, dignes d’un Soulage. Je me suis surprise parfois a balayer une page, persuadée qu’elle était recouverte de charbon !
L’adaptation scénaristique de Angotti rend parfaitement hommage aux textes de Franz Bartelt, tant par les ambiances que par le goût du bon mot.
Une vraie réussite !
« Karine c’est mon grand amour. Je fais pas le poids, elle a des notions d’économies. Son rêve c’est de devenir capitaliste. Elle fantasme en dollars, comme à la télé. Pas moi, je suis basé sur l’idée de gauche. J’ai des principes. Je suis un humaniste. Le pognon, c’est que par amour pour Karine. Elle est pour le pognon, et moi, je suis pour Karine. Donc, je peux pas être contre le pognon. «
« Moi même je suis un romantique. J’ai déjà commis quelques poésies. Dans le style Musset, après douze absinthes. »
« le Téléachat vous fait suivre jour après jour les progrès du monde. Mieux ; c’est un monde enchanté ! La préfiguration du paradis ! Tous les problèmes ont leur solution, il suffit d’acheter le produit ! En tant que poète vous ne pouvez qu’apprécier le Téléachat ! »
« Devant un tel pouvoir d’achat, elle m’aimerait si fort que ça en deviendrait gênant pour mon humilité d’homme de gauche . »
« C’est donc comme ça que baisent les mecs à pognon. C’est étonnant, un peu angoissant aussi. Ils poussent des hurlements d’une indignité déchirante. »
Si ce roman graphique risque de vous divulgacher quelque peu l’enquête du Jardin du Bossu ne boudez pas le plaisir de lire les mots de l’auteur. Le récit de ces cons est un régal d’humour noir aux personnages flamboyants !
Franz Bartelt a commis bien d’autres méfaits : toujours grinçant, souvent tendre avec l’Humain, il maîtrise le goguenard et le loufoque, assaisonnant le tout d’une touche de cruauté délicieuse !
Le Jardin du Bossu
C’est l’histoire d’un petit voyou en fin de non-droits, déjà un peu âgé, mais de bonne mentalité, car basé sur l’idée de gauche, et à qui sa femme, la belle Karine, a interdit de remettre les pieds à la maison tant qu’il n’aura pas trouvé un moyen de subvenir un peu aux besoins du ménage. Convaincu que le travail, pour peu qu’il ne soit pas trop manuel, est une manière comme une autre de restaurer l’amour conjugal, il entreprend de suivre un ivrogne dans la rue, avec l’arrière-pensée de lui piquer son portefeuille.
« Il était là, le con ! Rond comme un bidon. Entouré d’une flopée d’ivrognes encore plus saouls que lui. Je ne l’avais jamais vu en ville. J’ai demandé au Gus qui c’était. Il n’en savait rien. J’ai recommandé une bière. Le type se vantait. Il ne parlait que de son pognon. Il en avait, puisqu’il payait les tournées en sortant de sa poche des poignées de billets. Il refusait la monnaie. Il s’y croyait. Le con. Ah, le con ! Le Gus m’a dit qu’il était déjà saoul en arrivant. Il avait touché la paie ou quoi ? Il buvait du blanc limé. De temps en temps, il se levait et chantait une connerie. Il y a connerie et connerie. Les siennes, c’était des conneries de l’ancien temps. On n’y comprenait rien. Des histoires de drap du dessous, que c’est celui qui prend tout. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il retombait sur sa chaise, comme un sac. Il se remettait à parler de son pognon. Il en avait des tas. Stocké dans le tiroir de la salle à manger. Tout en liquide. »
Hôtel du grand cerf
A Reugny, petit village au cœur des Ardennes, plane depuis cinquante ans le secret de la mort de Rosa Gulingen. La star mondiale de cinéma avait été découverte noyée dans la baignoire de sa chambre à l’Hôtel du Grand Cerf, qui accueillait l’équipe de son prochain film ; du bout des lèvres la police avait conclu à une mort accidentelle. Quand Nicolas Tèque, journaliste parisien désœuvré, décide de remonter le temps pour faire la lumière sur cette affaire, c’est bien logiquement à l’Hôtel du Grand Cerf qu’il pose ses valises. Mais à Reugny, la Faucheuse a repris du service, et dans le registre grandiose : le douanier du coin, haï de tous, est retrouvé somptueusement décapité. Puis tout s’enchaîne très vite : une jeune fille disparaît ; un autre homme est assassiné. N’en jetons plus : l’inspecteur Vertigo Kulbertus, qui s’est fait de l’obésité une spécialité, est dépêché sur place pour remettre de l’ordre dans ce chaos.
Ecrite dans un style impeccable, cette enquête faussement classique verra tout un village passé au crible de la plume si particulière de Franz Bartelt, toujours entre burlesque et mélancolie. Dans Hôtel du Grand Cerf, on rit énormément, tout est élégant, rien n’est banal.
« Ils ne s’entendaient pas. En public, ça allait. Mais dès qu’ils se retrouvaient tous les deux, ils se disputaient comme des chiffonniers. Sur une même semaine, battre deux fois une femme qu’on aime, vous n’allez pas me dire que c’est favorable à l’harmonie du couple. »
Ha, les braves gens !
A Puffigny, un village ou, plutôt, « un gros bourg tellement perdu au fin fond de la France profonde que les cartographes n’ont même jamais vraiment pu le situer avec exactitude », les habitants sont renommés pour être tous plus menteurs les uns que les autres. Difficile d’espérer y mener une enquête. C’est pourtant ce que va tenter Julius Dump, un peu rentier, beaucoup écrivain médiocre, parti sur les traces de son père disparu et d’un mystérieux butin. Car toutes les pistes mènent à Puffigny. Mais où exactement ? Et comment trouver des réponses dans un village où chacun semble vivre au jour le jour, le nez en l’air et le verbe éclatant ? Julius n’a peut-être pas tout à fait mis les pieds dans un village de fous, mais ça y ressemble beaucoup.
Matière à roman ? Et comment !
« Le pire n’est jamais sûr… glosa un vieux. C’est ce qu’on dit quand on est dans la merde et qu’on espère qu’on ne sera pas obligé d’en manger ! «
Le fémur de Rimbaud
Majésu Monroe est brocanteur. Il propose à sa clientèle des objets ayant appartenu à des célébrités : un portrait du Christ à la mine de plomb dessiné par un officier romain, une chaussette, trouée, de Rimbaud, et mille autres raretés qui sentent l’escroquerie et la poésie. Majésu rencontre un jour Noème, fille d’un couple richissime, bien décidée à faire payer à ses parents les crimes de la bourgeoisie. L’amour naît instantanément, basé sur une même haine des riches, un même penchant pour l’alcool et une même absence de scrupules : le mariage est inévitable. Mais, à la mort accidentelle des parents de Noème, les projets du couple tournent court. Pire qu’une guerre civile, la guerre conjugale commence.
On retrouve ici l’imagination retorse de Franz Bartelt, sa verve anarchisante et son style impeccable, pour la plus grande hilarité du lecteur.
« C’est dur pour une mère de devoir passer après Staline dans le coeur de sa fille. «
Une sainte fille
Une fille parfaitement chaste affublée d’une réputation de lubricité, qui enflamme tous les mâles du pays. Un romancier qui livre sa femme à la débauche pour écrire un roman érotique. Un étrange enterrement se déroulant sur la musique de La Samba des otaries et du Quadrille des déménageurs trapus : tous les ingrédients sont réunis pour un concentré de comédie humaine. Franz Bartelt nous ravit par sa verve comique et son sens exceptionnel de la formule avec ses trois nouvelles extraites de La Mort d’Edgar
« Une aubaine pour un romancier qui brûle de taquiner la tragédie. Il taquina avec habilité, brassant dans le même souffle l’honneur de la France et les sentiments qu’il éprouvait pour la fille ainée du colonel, une rousse coquine, dont les auteurs du monde entier se sont disputé la virginité. «
Le bar des habitudes
Guy Vouine était mou de naissance. Il avait coulé de sa mère, comme d’un pot de confiture renversé. L’accouchement n’avait requis aucun effort, aucune poussée. L’enfant faisait un petit tas sur les linges et le cri qu’il exhala pour manifester qu’il était vivant montait de lui avec la légèreté d’une vapeur. La sage-femme, qui en avait vu de toute qu’elle n’en avait encore jamais sorte, se dit seulement vu de si mou. Plus tard, il s’avéra que l’enfant physiquement mou était également mou à l’intérieur… »
Au fil de ces seize brefs récits, Franz Bartelt raconte des destinées exemplaires et nous offre toute l’étendue de son talent!
« Elle s’installait au bar et noyait tranquillement la partie submersible de son chagrin. «
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