Luc Brunschwig est de ces scénaristes discrets mais talentueux, qui signent nombre de séries de qualité, vendent de beaux volumes de livres, mais ne sont pas connus du grand public (jusqu’au jour où ils publient un best-seller monstrueux, comme Fabien Vehlmann ou Wilfrid Lupano). Brunschwig, pour faire court, et ne parler que de ses séries en cours, c’est Holmes (avec Cecil), La mémoire dans les poches (avec Étienne Le Roux), Urban (avec Roberto Ricci), Bob Morane Renaissance (avec Aurélien Ducoudray et Dimitri Armand) et enfin Le pouvoir des innocents Cycle II (avec David Nouhau et toujours Laurent Hirn). C’est de cette série que nous allons parler aujourd’hui car, enfin, avant un second cycle, il en faut bien un premier…
Alors que la campagne pour les municipales de New York bat son plein, des agressions et des exactions sont commises en masse par des voyous, dans toute la ville. Joshua Logan est un ancien soldat d’élite, revenu littéralement brisé du Viet-Nam, et ne vit que pour son gamin Timy et sa femme Xuan Mai. Il voit de sa fenêtre les violences, et assiste impuissant à la création d’une milice citoyenne. Alors que la candidate démocrate tente de raisonner la population, le candidat républicain parle de guerre, et enflamme le débat. Le drame s’enclenche lorsqu’un milicien tire par accident sur un enfant. Timy…
Il y a de tout, dans Le pouvoir des innocents. Principalement du thriller, avec cette tension anxiogène et ce rythme infernal (qui prend toute son ampleur dans cette intégrale impeccable). Mais aussi de la prospective, avec une élection qui se joue entièrement sur des ressorts de plus en plus actuels, presque 25 ans après : la sécurité, un état de guerre permanent dans les frontières mêmes du pays, le chômage, la peur de l’autre… Il y a aussi du drame social, avec les actions d’un altruisme confondant de Jessica Ruppert, candidate angélique dont le passé regorge de sauvetages in-extremis de gamins en chute libre. Jusqu’au jeune Providence, qui deviendra en sortant de son institut un boxeur, et une star, de renommée mondiale. Il y a aussi, évidemment, une couche de chronique familiale et humaine, avec Joshua, sa vie brisée, sa lente et hypothétique reconstruction, et la folie qui le guette, à chaque pas… Brunschwig arrive à entremêler le réel, le fantasmé, le faux, dans un amas chaotique et pourtant parfaitement lisible, le tout sans temps mort. Le signe des grands scénaristes, indubitablement.
Laurent Hirn, de son côté, envoie du lourd dès les premières cases : d’une mise en page cinématographique et puissante, il fait exploser les corps et les esprits, et agresse son lecteur pour mieux le faire réagir. La violence est présente d’emblée, mais elle est équilibrée par une mise en couleurs punchy et atypique, et l’ensemble se bonifie au fil des planches. Les longues phases de discussions ne sont jamais ennuyeuses, et profitent du même soin que les séquences plus graphiques.
Le pouvoir des innocents, c’est une leçon de BD appliquée à un sujet grave : l’effondrement de la politique, ou plutôt de son image auprès du public. Car n’en doutons pas, une Jessica Ruppert, aussi implacablement idéaliste, capable de faire bouger des personnes de tous rangs, ça n’existe que dans les contes de fées… Non ?
Dans tous les cas, si vous ne savez pas quoi lire après les sempiternels XIII, Largo et autres cadeaux de Noël obligés, Le pouvoir des innocents n’attend que vous, et voilà bien une série un peu oubliée qui risque de bousculer les lecteurs trop bien installés dans leurs fauteuil et certitude.
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