« Je suis prête à mourir pour notre cause mais pas à tuer pour elle »
Le troisième opus de cette série prévue en quatre est paru fin 2022 et c’est aujourd’hui que je prends le temps de vous parler d’un chef d’œuvre! Si comme moi, vous avez grandi avec des révoltes, que les injustices vous faisaient bouillir le sang, si lever le poing est un reflex physique et que la simple évocation des phrases « Free Mandela » ou » I have a Dream » fait littéralement vibrer votre cœur, alors Le château des Animaux est fait pour vous. Si vous aimeriez éveiller votre entourage aux luttes nécessaires, introduire un enfant à l’importance de la justice sociale, sensibiliser un ami aux délicates nuances politiques, alors offrez Le château des Animaux. Si les grands combats pour les libertés vous parlent vaguement, que le monde tel qu’il est vous inquiète mais ne vous fait pas non plus descendre dans la rue, que les Orwell ou Gandhi vous intéressent sans avoir pour autant envie de vous coltiner leurs biographies, alors ouvrez Le château des Animaux. Et si enfin vous aimez simplement la très bonne bande-dessinée, celle avec de la consistance, aux dessins qui se gravent dans votre rétine et aux répliques inoubliables, alors lisez Le château des Animaux!
« Je ne me demande jamais si je dois obéir! Juste pourquoi… »
Quelque part en campagne, au cœur d’une ferme oubliée des hommes, le Château des animaux est dirigé d’un sabot de fer par le président Silvio, un taureau aussi majestueux que cruel. Secondé par une milice de chiens cruellement obéissants, le bovin dictateur exploite les autres animaux, tous contraints à des travaux de peine épuisants pour le bien de la communauté. Pour le bien du grenier, pour le Grand Troc, comme pour la réfection des bâtiments. Miss Bengalore, chatte craintive qui ne cherche qu’à protéger ses deux petits, et César, un lapin gigolo, vont s’allier au sage et mystérieux Azélar, un rat à lunettes pour prôner la résistance à l’injustice, la lutte contre les crocs et les griffes par la désobéissance et le rire… Quand l’hiver pointe son nez, s’ajoute la coupe du bois à la faim qui les tiraille quotidiennement. Et ce bois qu’on engrange, chaque citoyen du château doit le payer pour se chauffer… Le mouvement des plus faibles, appelé Les Marguerites, continue ses outrances au taureau dictateur, refusant le port de collier à grelots et exigeant la gratuité du bois pour tous. Pour être mieux entendus, ces courageux compagnons bravent le froid chaque nuit pour faire un sit-in sous les fenêtres de Silvio. Mais pour Miss B, vaincre la dictature ne peut se faire qu’en évitant le plus redoutable des pièges : la tentation de la violence. Le défi semble bien difficile… Des petites victoires en injustices nouvelles, la dictature continue. Grâce aux efforts de Miss B, les animaux se remobilisent avec peine pour faire renaître, en même temps que le printemps, le mouvement pacifiste des Marguerites. Mais Silvio ne l’entend certainement pas de cette oreille, et le taureau dictateur en a sous le sabot pour conserver son pouvoir. Toujours aidé par sa cruelle milice canine, il décide de faire embastiller les animaux rebelles au donjon. Qu’à cela ne tienne : Miss B et ses amis répondront une nouvelle fois par la ruse… et la solidarité !
Inspiré par La ferme des animaux de George Orwell, Xavier Dorison développe une saga extraordinaire. Il dit de l’ouvrage d’Orwell qu’il est un des romans majeurs du XXe siècle et sans doute le roman qui décrit le mieux la tragédie majeur de cette époque: le processus de confiscation des idéaux démocratiques par des dictateurs sanguinaires. Orwell a vu les dictatures, les a combattues et les a comprises. Le portrait qu’il en a fait est sidérant de vérité. Mais pour Dorison, le XXe siècle n’est pas que cela. Il rappelle que quelqu part en Inde, un fakir va-nu-pieds a réalisé l’impossible: faire céder un des plus grands empires. Comme ce pasteur noir qui a donné sa vie pour l’égalité des hommes de couleurs et des blancs. Comme ce condamné politique qui depuis sa prison est parvenu à réconcilier les noirs et les Afrikaners en évitant un bain de sang. Il rappelle le courage de cet électricien polonais et celui d’Otpor face à la dictature sanguinaire. Tous ont un point commun; ils ont lutté sans armes, avec colère oui mais sans appel à la vengeance. Pour leur cause, ils étaient prêts à mourir, pas à tuer… Ce sont à ces héros que Dorison rend hommage dans sa saga. Ceux qui ont montré qu’il existe une voie étroite, dangereuse, incertaine mais bien réelle, vers un monde meilleur.
La fable animalière de Dorison est un bijou. De par son scénario tout en subtilité qui sait exactement comment souligner les injustices et faire briller les indignations, mais également par son dessin. Félix Delep est époustouflant! Il parvient à prêter une palette d’émotions incroyables aux animaux sans jamais tomber dans la caricature ni dans l’humanisation. On ressent les peines, les colères, les faiblesses tout autant que le froid, la pénibilité et le désarroi du château. C’est un sans-faute: tout y est expressif, vivant, les mises en scènes sont superbes et le découpage intelligent!
Les deux compères ont crée une fable intemporelle appelée à devenir un incontournable de nos bibliothèques! Vivement le dernier tome!
« La provocation et la désobéissance, contrairement à ta serpe ou ton couteau, ça rouille pas et c’est gratuit! »
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