Le manga s’attache peu à la SF telle que nous l’entendons souvent, nous autres occidentaux. Loin des space opéras flamboyants, la SF à la nippone s’attaque souvent à des sujets plus « humains », tels que l’intelligence artificielle et son intrusion dans le réel (Pluto, Ghost in the shell), la pollution de la stratosphère (Planètes) et dans La Cité saturne, les modes de vie que nous serions amenés à pratiquer en cas de pollution définitive de la surface de la Terre… Envolons-nous vers ce lieu étrange, cet anneau de vie qui entoure une planète morte…
Mitsu est un jeune adolescent tranquille, posé et un peu dans la lune. Il y a des raisons, ou plutôt une : il est orphelin. Son père a chuté alors qu’il travaillait comme nettoyeur de vitres, un métier dangereux lorsque les vitres en question sont celles des anneaux d’habitation entourant la surface terrestre, à 33km de hauteur. À 16 ans, il choisit pourtant le même métier que son paternel, et découvre la vie étonnante de ces gens qui œuvrent, dans la solitude de l’immensité, à ramener lumière et horizon aux habitants de la cité saturne…
Comme cela arrive parfois, cette série n’a pas connu le succès attendu. Portée par une ambiance mélancolique, elle attaque pourtant de biais des sujets surprenants : de l’atavisme à la guerre des classes, de la manipulation de la population à l’écologie la plus extrême, Iwaoka donne, l’air de rien, des axes de réflexion poétiques et décalés sur des sujets on ne peut plus actuels. Imaginer l’humanité déserter la surface de la Terre ? Impossible ! Et pourtant… Dans l’urgence de la construction des anneaux de survie, structurés en 3 niveaux (les supérieurs étant, évidemment, l’apanage de la haute bourgeoisie, quand les inférieurs sont surpeuplés, mal équipés, sombres, et totalement hermétiques à toute évolution sociale; le niveau intermédiaire faisant office de tampon à cet usage), les architectes n’ont pas trouvé de solution mécanique et automatisée au nettoyage des immenses baies vitrées qui parcourent tout l’édifice. Une réponse s’est peu à peu imposée, grâce à la corvéabilité des niveaux inférieurs : des nettoyeurs de vitres, arnachés et équipés comme des astronautes, vont gratter la crasse et ramener la lumière à ceux qui peuvent payer… Les niveaux supérieurs, donc. Une absurdité qui rappelle de nombreuses injustices du quotidien, et remet en perspective le petit confort dans lequel nous nous complaisons.
Pour illustrer ce qui ressemble fort à une fable sociale, Iwaoka use de son graphisme étonnant, simple et rond, confortable et faussement malhabile. Les personnages sont différenciables aisément, avec des caractères bien trempés, et un héros qui évolue avec les volumes et ses aventures initiatiques. Kana a soigné son édition, traduite avec compétence par Pascale Simon, et nous propose des jaquettes mattes dans la veine de celles utilisées pour Pluto. Et si le héros, Mitsu, va faire ses classes avec aisance dans les grandes hauteurs des anneaux, sera-t-il lui aussi sensible au vertige qui semble vouloir ramener chaque humain sur la surface terrestre ?
La cité saturne est un petit bijou, gracieux et poétique, passé quasiment inaperçu à sa sortie (entre 2009 et 2012), mais qui conserve tous ses attraits, et est toujours disponible. En tout cas, à la FNAC de Lausanne, qu’on se le dise !
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