Si vous suivez un tant soit peu l’actualité des séries TV américaines, vous avez probablement entendu parler de True Detective. Évènement de la saison aux USA, elle a rassemblé plusieurs millions de personnes chaque semaine sur la chaine HBO (déjà responsable de succès comme Game of Thrones ou Soprano, mais aussi de pépites méconnues du grand public comme Carnivàle ou The Wire), et a d’ores et déjà été renouvelée pour une nouvelle saison. Présentation…
True Detective est une série anthologique, comme American Horror Story. Chaque saison est indépendante, seuls le lieu et l’ambiance devraient rester lors des prochaines années. Ici, nous suivons une enquête se déroulant sur deux décennies, dans le sud des États-Unis, et menée par un duo aussi mal assorti que bizarrement attachant : le flic bougon mais efficace, pas si lisse qu’il veut bien le faire croire, et son collègue grand mystique, quasiment autiste, dont les compétences professionnelles sont inversement proportionnelles à ses qualités humaines. Ils travaillent sur le meurtre a priori teinté de paganisme, voire de satanisme, d’une jeune femme, retrouvée attachée à un arbre, et coiffée de bois de cerfs… Alors que la première enquête, plus ou moins achevée dans les années nonante, ne leur a pas donné entière satisfaction, ces deux énergumènes, 18 ans plus tard, relancent à leur propre compte cette investigation, et découvrent peu à peu le vrai fond de l’histoire…
Qu’une série aussi noire puisse connaître un tel succès relève, pour un regard européen, d’un bel accident. Ce serait vite oublier que la TV américaine, et notamment câblée, nous abreuve depuis plusieurs années de séries de plus en plus soignées, matures et intelligentes, et s’attaque de front à des sujets souvent difficiles. Il suffit d’observer les gros succès de ces dernières saisons : Walking Dead, série ayant réellement fait exploser la zombiemania, Breaking Bad, fable sinistre sur la drogue et l’argent, Game of Thrones, adaptation monumentale d’une série de fantasy politique et brutale… Que ce soit HBO, FX ou AMC, ce ne sont plus les grandes chaines nationales qui font la loi, mais bien ces chaines à péage, aux productions audacieuses et élargissant au forceps le public traditionnel des dramas TV. True Detective est dans cette droite lignée, et amène une forme d’aboutissement formel, car voici une production huppée menée par des personnes talentueuses.
Parlons tout d’abord de l’histoire, conçue par Nic Pizzolatto. Né en Louisiane (tiens donc), auteur de polar encore méconnu, il n’a signé à ce jour que deux romans, dont Galveston, traduit chez Belfond. Et s’il semble pour l’heure s’être pris au jeu du scénario télévisuel, nul doute que ses prochains textes seront lus avec bien plus d’attention… Fortement inspiré, pour cette série, par Le roi en Jaune, recueil de nouvelles crépusculaire et fascinant, écrit par Robert W. Chambers (et enfin disponible en version intégrale aux éditions Malpertuis), Pizzolatto ne noie pas le spectateur sous les références, ou le fait avec suffisamment de subtilité pour que ce soit une chasse au trésor plus qu’un frein à la compréhension. Ayant réussi avec aisance le mélange entre polar noir, chronique sudiste, portrait de caractères bien trempés et contemplation des grands espaces américains, ce jeune auteur est désormais à suivre avec attention.
Ensuite, les acteurs. Car réunir deux pointures comme Matthew McConaughey et Woody Harrelson, voilà bien une preuve supplémentaire de la vigueur des productions TV, fussent-elles prestigieuses comme ici. Si Harrelson reste égal à lui-même, charismatique et grognon, l’air toujours mal embouché et parlant de cet accent sudiste bien balancé, c’est McConaughey qui écrase le reste du casting. D’une maigreur alarmante, le regard fiévreux, son interprétation est aussi hallucinante que le rôle l’exigeait, et on comprend mieux, après ces 8 épisodes, qu’un bonhomme pareil revienne au sommet (un oscar en 2014) après quelques années de disette. Les seconds rôles, quant à eux, ne déméritent pas, mais sont moins mis en avant que les deux compères…
Et enfin, la réalisation, exemplaire. Les technologies numériques permettent, depuis plusieurs années, un rendu visuellement attrayant à peu de frais. Mais ça ne camoufle guère le manque de talent ou d’ambition formelle. Rien de tout ça, ici : jeune réalisateur remarqué, Cary Fukunaga était déjà connu pour la qualité de sa photo et de sa mise en scène (primé notamment pour Sin Nombre aux festivals de Sundance et Deauville), et ne fait que renforcer les attentes qui étaient placées en lui. Entre l’ambiance poisseuse et alanguie de la Louisiane estivale, et la pénombre grisâtre des suburbs habités par des dealers et toute une faune interlope, ses choix font systématiquement mouche, et placent le spectateur dans une tension habitée, ne relâchant la pression que lors des savoureux dialogues entre les personnages. Sa direction d’acteur, enfin, ne mérite que des éloges, aucune fausse note ici non plus.
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Bref, True Detective, c’est bel et bien la sensation de cette année 2014, un accord parfait trouvé entre fond et forme, à voir ou revoir en DVD et Bluray !
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