Atsushi Kaneko fait partie de ces auteurs atypiques que les éditions Sakka prennent plaisir à faire découvrir. Si c’est IMHO qui a publié Bambi (série déglinguée et déjà très tarantinesque), c’est ensuite Ankama et son mésestimé label manga qui a publié Soil, thriller fantastique empreint de poésie macabre, de mal-être adolescent et de personnages aussi vrillés qu’attachants. Mais Casterman, par le biais de son label Sakka, a depuis publié Wet Moon (chroniqué ici), triptyque proprement jouissif lui aussi, et attaque aujourd’hui la dernière gourmandise de l’auteur, Deathco. Deathco, qu’est-ce donc ?
Dans un drôle de monde presque comme le nôtre, peuplé de mafieux sans honneur et de trafiquants répugnants, la Guilde organise des assassinats ciblés, qui sont exécutés par les Reapers. Ces reapers sont des quidams qui vivent leur petite vie le jour, et attendent leur prochain contrat la nuit. Ils débarquent déguisés, sont souvent mis en concurrence, et sont chargés de dézinguer leur trophée, puis touchent une prime plus ou moins conséquente. Dans ce petit monde sinistre et morbide débarque Deathco, adolescente gothique et dépressive, au passé aussi trouble que sa mythomanie peut le laisser imaginer, mais dont le talent pour le meurtre n’a d’égal que l’apparent je-m’en-foutisme qui régit les autres segments de sa vie…
Une fois encore, Kaneko surprend. Après ses 2 thrillers totalement frappadingues (Soil et Wet Moon, donc), il revient à ses premières amours, et pour faire une métaphore liée au cinéma, après David Lynch, il revient vers un mix furibard de Quentin Tarantino et Tim Burton (en grossissant le trait lourdement). Le polar sanglant côtoie une forme de contemplation morbide de l’absence de vie de l’héroïne, personnage qui ne prend consistance que lorsqu’elle doit assassiner quelqu’un. Si sa psyché sera certainement dévoilée plus avant dans les prochains volumes, sa bizarrerie et une forme d’humour noir désincarné totalement improbable la rendent étonnamment attachante. Et tous les autres personnages forment une galerie des monstres que n’aurait pas renié Tod Browning : entre les pom-pom girls milliardaires, les chômeurs prêts à tout pour ramasser de la thune vite fait, les malfrats aussi lâches que débiles, les psychopathes difformes, rien ni personne n’échappe au crayon-scalpel d’un Kaneko des grands jours.
Car si l’histoire semble un prétexte à des séquences d’une brutalité purement récréative, c’est une fois encore le graphisme redoutable de l’auteur qui met tout le monde d’accord : on aime, ou on déteste. Empruntant un encrage plus rond et moins cassant que sur Soil, revenant en ça à la cartoonerie barrée de Bambi (messieurs-dames de chez Sakka, rééditez Bambi !), mais le tout agrémenté de cette maîtrise visuelle, de cette force de frappe qui cloue le lecteur sur chaque page, chaque case. Les chauve souris, la créature squameuse qui vit dans le bassin du chateau de Deathco, sa protectrice obèse, cette drôle d’ambiance de vieux film d’horreur pose une série qui ose tout, ne recule devant aucune outrance, mais nous scotche bouche bée, avec une seule phrase en tête : à quand la suite ?!
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