De Taiyô Matsumoto, nous connaissons principalement Amer Béton (aka Tekkon Kinkurito, adapté au cinéma par un réalisateur américain, Michael Arias), Ping Pong ou encore Number 5. Voici donc qu’arrive sa dernière série, dédiée une fois encore à l’enfance et à ses turpitudes…
Sunny, c’est le nom de la Nissan décatie qui rouille dans le jardin du foyer Hoshi No Ko, où habitent nos héros : Junsuke, le jeune mélomane approximatif à la tignasse improbable, Haruo, le préado qui se veut loubard, mais finalement non, Tarô, le géant idiot qui chante des musiques enfantines, Sei, le nouveau venu un peu sauvage… Et d’autres, que l’on apprend à découvrir au fil des pages. Chaque chapitre nous ouvre les portes du monde d’un gamin, dans cette baraque qui voit cohabiter des enfants abandonnés, des orphelins, des gamins dont les parents ne sont pas aptes à s’occuper, tout un tas de cas singuliers qui sont autant de drames personnels. L’un rêve de voir sa maman, mais est terrifié à l’idée qu’elle reparte. Et finalement craint de la revoir… Un autre, accompagné de sa sœur, suit les bêtises de son alcoolique irresponsable de paternel, mais ne peut s’empêcher d’aller lui rendre visite, et de lui donner de l’argent quand il en a. D’autres, évidemment, composent leur propre monde, car on ne leur en a pas prêté un. Et pour ça, ils ont la Sunny, cette guimbarde dans laquelle tout devient possible : aventures dans le désert, traversée paisible de la ville, l’imagination est la seule limite, et le monde de l’enfance est tout entier dans ce tas de ferraille…
Matsumoto est un artiste singulier, qui a signé des séries bien différentes : Amer Béton raconte les aventures de 2 gamins des rues dans une cité pourrissante; Ping Pong une rivalité entre deux amis d’enfance, dont le talent pour le tennis de table va causer bien des drames; Number five est le portrait déglingué d’un monde futuriste absurde, et d’un combattant d’élite confronté aux sentiments; Le samouraï bambou est une fresque historique étonnante et poétique; Gogo Monster, enfin, touche à l’univers intérieur d’un petit garçon, qui semble peu à peu se déliter dans la réalité… Dans tout ça, une constante, ou presque : le monde de l’enfance. Un monde cruel, naïf et tendre, qui trouve son apogée dans Sunny. On croise en effet au fil des pages les petites aventures quotidiennes de gamins qui ne savent pas trop comment se positionner par rapport au monde, et utilisent les quelques armes qu’ils ont en leur possession. L’imagination, les souvenirs, l’humour, une certaine sauvagerie aussi, mais sans cruauté, une simple nécessité. Les adultes sont bien fades, à côté, et n’apportent guère de sérénité à des enfants déboussolés. Matsumoto offre ainsi une parenthèse, un long poème dédié à l’enfance, oublie la noirceur et la furia de certaines de ses autres séries pour se consacrer tout entier à des portraits atypiques, déglingués et fabuleux.
D’un trait toujours aussi racé, il donne vie à un petit monde crédible et cadré, puis explose ses propres conventions lors d’envolées imaginaires; il rend leurs ailes à des gamins qui, sans être des anges, arrivent à une certaine légèreté dans un quotidien qui, de banal, finit toujours par retrouver du merveilleux. Son trait est toujours épuré, moins expérimental que dans certains de ses anciens travaux, mais conserve une dynamique proche des estampes, avec ces lavis posés sans chichis, et ces cadrages dingues.
Sans vraiment savoir où il nous emmène, on ne peut que se laisser séduire par un volume aussi riche, aussi subtil dans la description du monde de l’enfance, et de celui, moins agréable, qui l’entoure. Une réussite, à suivre !
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