Inconnu du grand public, Seraphim 266613336wings (son étrange titre complet) est pourtant paru en fin d’année dernière. Certes, chez un petit éditeur (IMHO), et certes, c’est une œuvre inachevée. Mais avant tout, il s’agit d’un manga signé Mamoru Oshii et Satoshi Kon, rien que ça. Présentation…
Mamoru Oshii, c’est l’un des réalisateurs japonais les plus connus au monde, dans l’univers de l’animation. Si ses dernières productions font plutôt peine à voir, à ses grandes heures, il a tout simplement révolutionné le monde de la japanim’. Son premier jalon majeur, ce fut Urusei Yatsura, l’adaptation télévisée du manga de Rumiko Takahashi (aussi connu sous le nom de Lamu par chez nous). Il réalisa notamment le second film, Beautiful Dreamer, un métrage onirique et étrange, dont le concept rappelle fortement Un jour sans fin, sorti plusieurs années après. Vint ensuite Patlabor, une série qui donna aussi naissance à deux films, toujours réalisés par Oshii, qui firent date dans l’animation dédiée aux robots géants. Puis vint LA gifle, LE film qui allait définitivement imposer la patte Oshii : Ghost In The Shell. Formellement, GITS (pour les intimes) est à l’orée des dernières innovations techniques, et n’a, à ce jour, jamais été égalé. L’histoire, de son côté, est à la fois cryptique, mystique et d’une beauté effrayante, et transcende largement le matériau originel (le manga de Masamune Shirow). Son film suivant, Avalon, est en prises de vue réelles, et a marqué la séparation du duo qu’il formait avec son scénariste Kazunori Ito depuis des années. Ses œuvres ultérieures s’en ressentiront fortement, dès Ghost In The Shell 2, qui n’avait plus l’aura du premier.
Satoshi Kon, de son côté, est venu à l’animation par le manga. D’abord assistant de l’immense Katsuhiro Otomo (Akira), il réalise des histoires courtes et, donc, ce fameux Seraphim. Mais les sirènes de l’animation, et notamment du cinéma, lui font les yeux doux (il participe ainsi à Patlabor II). C’est cependant son premier film en tant que réalisateur, Perfect Blue, en fait un téléfilm ensuite diffusé au cinéma, qui va l’imposer dans le paysage de l’animation mondiale. Thriller paranoïaque et finement écrit, il profite de son graphisme réaliste et de son affection pour les personnages forts. Il enchainera ensuite les chefs d’œuvres, que ce soit au cinéma (Tokyo Godfathers, Millenium Actress, Paprika) ou à la télévision (Paranoia Agent), avant de nous quitter prématurément en 2010, à l’âge de 46 ans.
Imaginer la rencontre de ces deux monstres, l’un déjà reconnu (Oshii), l’autre encore à l’aube de sa carrière (Kon), peut faire peur. D’emblée, il convient de savoir que des différends les ont amené à interrompre leur collaboration. Seraphim est donc un livre tronqué, une série jamais terminée. Doit-on le regretter ?
Avec son histoire démarrant de but en blanc, dévoilant peu à peu l’univers, les personnages, leurs motivations, et même le fonctionnement géopolitique de ce monde en décrépitude, Seraphim est intimidant. Riche en thématiques, il aborde aussi bien le monde de l’enfance que la religion, la transformation physique ou les frictions en politique internationale. Nous suivons une mission aux enjeux difficilement cernables de l’OMS, qui envoie quatre représentants (deux de ses anciens pontes, ainsi qu’une petite fille muette et un basset – le chien fétiche d’Oshii, évidemment) dans une zone reculée. Le monde est, depuis plusieurs années, touché par une pandémie transformant chaque victime en « ange ». Le malade commence à halluciner, ses yeux se transformant, son cerveau se modifie et surtout, des ailes osseuses lui poussent sur les omoplates… La mission de cette drôle de troupe semble être la seule chance de survie de l’humanité, si seulement les groupuscules politiques au pouvoir dans la région veulent bien calmer leurs petites guerres imbéciles…
Servant avec classe ce scénario complexe et riche en sous-entendus, Satoshi Kon (en charge ici du dessin, mais aussi en partie du scénario, puisque lui et Oshii ont énormément échangé durant leur collaboration) dévoile des trésors graphiques, faisant éclater les pages d’un dessin rappelant, effectivement, les grandes heures d’Akira. Désolation, vols d’oiseaux de la taille d’un immeuble, séquences d’action chorégraphiées avec minutie, nous ne sommes pas face à un artiste feignant, et la fin, fatalement ouverte, ne peut que nous laisser le regret de ne jamais lire la suite de ce manga terrible…
IMHO a donc pris le parti de publier ce qui est, clairement, une grande frustration : la rencontre réussie entre deux immenses artistes, mais dont les caractères trop marqués ont empêché leur œuvre commune de s’achever sereinement. Malgré tout, les fondations sont si belles qu’il serait dommage de laisser le bâtiment inexploré…
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