Alors oui, certains ronchonneront : après Bill Watterson, qui n’a plus fait sérieusement de BD depuis 20 ans, voici Otomo, qui n’en fait plus non plus depuis des lustres. Pis il est pas français ou belge ou Suisse. Mais enfin, quoi, peut-on objectivement nier l’importance historique d’un titre comme Akira dans l’expansion du manga en France et en occident ? Et comment ne pas se féliciter de ce premier Grand Prix de la Ville d’Angoulême à un auteur japonais ?
Katsuhiro Otomo, présentations par ses œuvres… D’abord les mangas :
AKIRA
Ce n’est pas son premier titre, mais c’est le plus fort, le plus marquant. Impact définitif au Japon, il a été le fer de lance de l’invasion de la culture nippone en Occident, quelques années avant Dragon Ball. Épopée mystique et futuriste, désespérée et romanesque, adolescente et flamboyante, elle met en scène un groupe de gamins dont la principale activité est de faire des courses de motos dans les rues d’une Neo Tokyo sclérosée par la violence et l’impuissance de la Police. Face à eux, un groupuscule militaire essaie de comprendre ce qu’il s’est produit 20 ans plus tôt, lorsqu’une explosion monumentale a ravagé Tokyo, à la suite d’une expérimentation délirante sur un jeune garçon prénommé Akira…
Akira, c’est le bouillonnement dans le sang, la maestria graphique d’un auteur qui n’hésite jamais, c’est l’adolescence dans sa forme la plus pure : hyperactive, inconsciente, romantique… Une saga démesurée dont le succès ne se dément pas (même si Glénat a laissé s’épuiser près de la moitié de la série en couleurs, et régulièrement des tomes en noir et blanc), et qui fait partie des incontournables de toute mangathèque qui se respecte.
DÔMU – RÊVES D’ENFANTS
Première œuvre majeure d’Otomo au Japon, Dômu est sorti en français suite au succès d’Akira, évidemment. Cette histoire en 1 volume met en scène un vieillard et une jeune fille possédant tous deux des pouvoirs télé-kinésiques, qui se battent à leur manière frappadingue pour dominer leur immeuble… Sorte de brouillon de luxe d’Akira sur le sujet des pouvoirs paranormaux et du rapport de force intergénérationnel, Dômu est déjà impressionnant de maîtrise graphique, et est un classique en soi. Publié par Les Humanoïdes Associés à plusieurs reprises, il n’est actuellement plus disponible. Mais nul doute que le prix réveillera les appétits rééditoriaux des Humanos…
ZED (Dessiné par Amina Okada)
Adaptation assez fidèle et agréable de Roujin Z, le méconnu second film d’Otomo, Zed est une satire grinçante d’un sujet qui touche énormément les japonais : eux qui respectent au plus haut point leurs aînés n’ont, à l’heure actuelle, plus forcément le temps ou les moyens de s’en occuper convenablement lorsqu’ils deviennent dépendants. Dans cette fable d’anticipation rapprochée, une entreprise conçoit un robot-lit à tout faire, qui gère les besoins du vieillard dont il a la charge. Mais suite à un bug, la machine se transforme en gigantesque bouddha détruisant tout sur son passage, et n’a face à lui qu’une jeune fille dépassée par les évènements… Loin de l’impact d’Akira, voici un manga à ne pas mésestimer, ne serait-ce que pour la férocité avec laquelle il s’approprie un sujet sensible.
MOTHER SARAH (Dessiné par Takumi Nagayasu)
Saga fleuve, Mother Sarah n’a jamais connu le succès escompté par chez nous. Cette fresque post-apocalyptique met en scène une mère courage, dans un monde ravagé par l’Atome. Les hommes ont trouvé refuge sur des satellites. Sarah, mère de 4 gamins, est bien décidée à retrouver ses enfants dont elle a été séparée lors de son retour sur terre. Difficile de se faire une idée précise de la série, n’ayant jamais réussi à la lire convenablement (elle est excessivement compliquée à trouver au complet, étant épuisée depuis plusieurs années), mais voilà une œuvre ambitieuse qui a marqué ses lecteurs.
KATSUHIRO OTOMO ANTHOLOGY
Un recueil d’histoires de jeunesses, dont certaines préfigurent avec force les chefs d’œuvre ultérieurs. Plusieurs de ces nouvelles graphiques ont ensuite été adaptées dans Memories, le fameux film omnibus regroupant un panel de talent terrifiant. Il est à noter que l’humour est très présent, offrant parfois plus de légèreté à des histoires souvent noires.
LA GARDE DU SULTAN (Dessiné par Akihiko Takadera)
Un recueil de trois histoires courtes, entre action, humour et thriller. Une facette toujours méconnue d’Otomo, à découvrir !
Passons maintenant aux films…
AKIRA
Évidemment. Film produit et réalisé alors que le manga était encore en cours, Akira est un monument esthétique, qui n’a à ce jour aucun équivalent en terme de fluidité d’animation (avec Venus Wars, il fait partie des très rares films d’animation japonais réalisé en full animation, soit en 24 images différentes par seconde. Même des œuvres aussi magistrales que celles du studio Ghibli ou que les Ghost in The Shell n’ont pas eu ce privilège), et reste un exemple d’intégrité artistique. Démesuré, avec un final assez différent du manga, mais visuellement ébouriffant, Akira est à voir, revoir, déguster, faire découvrir, avec autant de gourmandise que le manga.
ROUJIN Z
Ce second film pâtit évidemment de la comparaison avec le flamboyant Akira, mais Otomo a pourtant touché une corde sensible avec cette histoire (voir Zed, un peu plus haut). La réalisation est plus modeste, mais pas moins soignée, et si le design est moins exubérant, il profite d’une douceur et d’une humanité touchantes. Une petite pépite délirante et percutante à redécouvrir !
STEAMBOY
Ce film était annoncé comme le digne successeur d’Akira, par les moyens mis en œuvre et l’ambition formelle d’Otomo et des producteurs. Dans la droite lignée d’un Nadia ou même de Jules Verne, ce contre rétro-futuriste et écologique est une merveille esthétique, mais est bien plus léger et grand public que le ténébreux Akira. Un film fun, spectaculaire en diable, mais qui manque parfois de fond.
MEMORIES
Film-omnibus jubilatoire, Memories reprend les fameuses histoires courtes d’Otomo. Parfois mystiques, parfois délirantes, elles profitent du talent incroyable des personnes ayant œuvré sur cette production de prestige (de Tensai Okamura, animateur clé ou réalisateur sur Wolf’s Rain, The End of Evangelion ou Jin Roh, à Satoshi Kon, ici scénariste, mais par la suite réalisateur de Perfect Blue, Paprika ou Paranoia Agent).
ROBOT CARNIVAL
Un autre film à sketches, moins flamboyant, mais tout aussi plaisant. Longtemps introuvable, il a été redécouvert en France après un passage sur Arte, puis a bénéficié d’une sortie DVD chez feu-Asian Star.
Il a aussi supervisé Spriggan, designé Freedom ou story-boardé Metropolis…
Un grand prix d’Angoulême difficilement contestable, même si, comme pour Watterson, Otomo reste dans les mémoires pour une seule œuvre. Mais quelle œuvre !
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