Ce soir, intéressons-nous à une série qui connût une drôle de destinée éditoriale…
L’or et le sang, c’était l’un des gros lancements de 12Bis, maison d’édition fondée par d’anciens de Glénat et Vents d’Ouest. Coécrite par un Fabien Nury alors tout auréolé du succès tonitruant de Il était une fois en France, cette tétralogie était supposée participer à installer 12Bis parmi les grands généralistes. Étonnamment, et malgré une jolie mise en place, les premiers tomes ne furent guère plus qu’un succès d’estime, généralement encensé par les libraires et les aficionados, mais boudé par le grand public. Avec des ambitions revues à la baisse, et une situation financière critique, 12Bis a été racheté par Glénat, vénérable institution prête à faire revenir en son giron les anciens. L’or et le sang est la première grande relance de ce renouveau, et Glénat réédite les trois premiers tomes afin d’accompagner le tant attendu quatrième. Espérons que le succès sera au rendez-vous ! Et maintenant, parlons BD…
Première guerre mondiale. Sale, puante, sans distinction, elle fracasse les vies de tout soldat, quelle que soient ses origines. Calixte, un bourgeois gradé, Léon, un corse un brin déjanté vivant de menues arnaques, et Ahmed, un arabe venu combattre pour la France mais épris de liberté, se retrouvent coincés dans un trou d’obus, pendant une bataille particulièrement virulente… Cette nuit d’angoisse les rapproche, car ils vont se sauver les uns les autres. La guerre finit par les laisser derrière elle, et ils reprennent vaille que vaille leur existence, avec cette drôle de promesse dans un coin de leur tête : un jour, ils partiront et deviendront pirates, rois de la mer, rois de quelque chose. Le retour de Calixte chez lui est un échec, sa femme répugne à le toucher du fait de ses blessures. Léon, de plan galère en plan galère, finit par en venir à l’évidence : Calixte est sa planche de salut, et il va donc le voir, une idée folle en tête… Leur première aventure, ce sera le trafic d’armes !
Nury et Defrance, les scénaristes, articulent une rafale d’évènements tous aussi forts et intéressants, et arrivent à équilibrer avec ingéniosité le caractère des personnages et la singularité du chaos qui les entoure. Embarqués dans des évènements qui les dépassent, ils finissent par trouver leurs marques, s’approprier leur destin, et transcender allègrement la vie qui leur était promise. Les dialogues, les séquences de bataille, les heurts, les têtes à têtes et même les passages romantiques sont réussis, jamais outrés, et méritent des louanges tant une vétille pourrait tout faire basculer dans le ridicule. Nous sommes ici face à une BD d’aventures comme on en fait rarement : c’est à la fois drôle, touchant, enivrant, intelligent, humain, le tout sans tomber dans le trop plein ou le pathos.
Mais que serait une belle histoire, en BD, sans le dessin approprié ? Merwan et Bedouel s’en chargent le second signe une mise en page flamboyante, magnifiée par le dessin de Merwan oscillant entre Otomo (Akira), Vivès (évidemment) et une maîtrise des masses que ne renierait pas Chabouté. Mais Merwan est Merwan, et si les personnages vont sensiblement évoluer au fil des albums, c’est pour aller vers plus de charisme, plus de force de caractère, une aura de héros qu’ils n’avaient clairement pas dès le départ. L’explosivité de certaines séquences reste mémorable, et l’ensemble fleure bon le cinéma à très grand spectacle d’un David Lean (Lawrence d’Arabie en tête) ou d’un John Huston (dont L’homme qui voulut être roi est certainement une inspiration pour les scénaristes), l’intelligence de la mise en scène et la puissance évocatrice des personnages en tête.
L’or et le sang, c’est l’essence même de la BD d’aventure, une saga vibrante, qui prend aux tripes, et se termine en apothéose, avec brio et humanité. Une réussite incontestable, dont le dessin singulier peut rebuter, mais qu’après lecture, on n’imaginerait jamais autrement, pas un seul instant.
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