Scott McCloud, c’est le Maître Capello de la BD, le donneur de leçons, indispensable et agaçant. Auteur de L’Art Invisible et Faire de la bande dessinée, deux ouvrages théoriques de référence sur la BD en tant que medium et vecteur de narration, il a aussi signé des œuvres de jeunesse plus personnelles (Zot) ou tirées de licence (Superman Adventures). Il faut croire qu’être l’auteur d’essais parmi les plus connus du monde du comics ne suffit plus à faire son bonheur, puisqu’il s’est cette fois lancé dans un roman graphique d’envergure, Le Sculpteur.
David Smith est issu d’une famille d’artistes un peu manqués : son père était un romancier au succès guère probant, et les toiles de sa mère n’ont jamais vraiment déclenché d’émeutes dans les galeries à la mode. Sa sœur, brillante mais de santé fragile, voulait écrire du théâtre, mais sa condition physique ne lui en a pas laissé le temps. Après la mort de tous ses proches, David se cherche, lui qui se voudrait sculpteur, mais ne trouve pas l’énergie, se cache derrière son malheur pour ne pas travailler à son art. Un soir de désarroi, alors qu’il se noie dans l’alcool dans un restaurant, il voit arriver à sa table l’oncle Harry, dernier rescapé de sa famille proche, avec qui il discute longuement. Mais pourtant… L’oncle Harry n’est-il pas mort depuis plusieurs années ?! Son faux oncle s’avère être la grande faucheuse, qui lui propose un marché : en échange d’un talent inaccessible au commun des mortels pour la sculpture, David n’aura plus que 200 jours à vivre. Désespéré, il accepte… Et rencontre l’amour de sa vie deux semaines plus tard.
Il est étonnant de voir un théoricien de la narration occidentale (même s’il s’est intéressé à toutes les formes de BD) livrer un ouvrage qui relève plus du manga. 500 pages, une narration ample et qui vise à raconter de manière quasi exhaustive les 200 ultimes journées du survivant David, un dessin souple et sans fioriture : McCloud prend des risques, et jette toute son énergie dans un ouvrage monumental, qui ne plaira pas à tout le monde. Car il est le schtroumpf à lunettes, celui que l’on aime bien prendre à défaut, lui qui donne des leçons, qui a mis à plat les rouages de la BD ! Mais il s’en fiche, McCloud : il a une histoire à raconter, un dérivé moderne et romantique de Faust. Son héros avance, de renoncements en petites lâchetés, flirtant avec la folie et tombant régulièrement dans un abattement qui n’est pas une dépression, juste une faiblesse. C’est la rencontre fortuite avec Meg, jeune actrice flamboyante à la carrière balbutiante, qui va le relancer, et à plusieurs reprises. Mais a-t-il le droit de s’attacher, de créer des liens, alors même qu’il doit disparaître sous quelques mois ?
Si le dessin n’est pas ici le point fort, l’exploit est celui de la constance et du volume : pensez-donc, plus de 500 pages en bichromie, qui déroulent sans heurts, et accompagnent avec plaisir une histoire dont on sait qu’elle sera une tragédie. Mais une belle tragédie, de celles qui laissent des marques que l’on se plaît à effleurer du doigt, de temps à autres. McCloud signe tout simplement le livre qui touchera les artistes ratés, ceux qui ont abandonné par peur, ceux qui pensaient ne pas avoir le talent, ceux dont l’idée de vivre d’un don n’a même pas effleuré l’esprit. Nous sommes dans une société qui laisse de la place aux loisirs, mais peu à l’art en tant que production personnelle. L’art ne vaut que pour ce qu’il rapporte financièrement, a-t-on parfois tendance à résumer. Ce livre est le vœu pieux, la prière d’un artiste qui en a marre de donner des leçons, et qui se jette dans le grand bain tout habillé.
Le sculpteur, c’est le genre de livre qui peut agacer, car il est romantique comme un film avec Meg Ryan. Il peut aussi ennuyer, parce qu’il déroule une narration lente et parfois contemplative. Mais rien n’est gratuit, pas même ces moments que l’on croit ennuyeux, mais qui prennent leur importance une fois le volume refermé. Le sculpteur, c’est la revanche de l’artiste frustré et caché en nous, qui soudain met des coups dans la poitrine, et veut sortir.
Le sculpteur pourrait bien vous donner envie de raconter des histoires, de peindre, de sculpter, d’écrire et de dessiner : c’est tout le mal que l’on peut se souhaiter !
Le sculpteur, pour fini, c’est bel et bien l’évènement annoncé, et Rue de Sèvres frappe une fois encore très fort !
Un bouquin traduit, avec quelques coquilles (mais sur 500 pages, on pardonne aisément) par Fanny Soubiran.
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