Glyn Dillon est un illustrateur et auteur de BD anglais. Après avoir travaillé sur des collectifs ou des séries (notamment le mythique Sandman, de Neil Gaiman), voici son premier (et à ce jour unique) travail d’auteur complet.
Nao est une jeune femme comme les autres. Métisse anglo-japonaise, elle a subi pendant son enfance la violence alcoolisée de son père, qui les a abandonnées, sa mère et elle, depuis plusieurs années. Férue de bouddhisme, elle essaie d’y puiser la force de soigner ses soucis psychologiques : TOC, haine d’elle-même, pulsions violentes… Après avoir largué son énième petit ami alcoolique, elle prend une colocation avec une amie, trouve un job à temps partiel dans une boutique de jouets un brin geek, et tente de bosser sur des idées de jouets qu’elle veut vendre à un fabricant enthousiaste. Nao est une jeune femme comme les autres, donc. Elle a peut-être juste un peu de mal à l’admettre…
Raconter les névroses de son personnage principal est souvent casse-gueule : les monologues peuvent sembler faux, ses soucis peuvent apparaître artificiels… Dillon a trouvé la formule, et rend son héroïne aussi touchante que vivante. Ses montées d’angoisse, la dureté du jugement qu’elle porte sur elle-même et les autres, son aveuglement face à certaines choses du quotidien… Elle ne s’épargne rien, mais son cheminement vers la compréhension est un voyage qui embarque le lecteur, pour peu qu’il soit sensible au sujet. Car si Nao a des TOC (elle a un sérieux problème avec les couverts et les stylos), ils sont tous liés à cette violence qu’elle pense retenir en elle, une violence surtout dirigée vers les enfants. Cherchant l’homme parfait, elle tombe souvent sur de parfaites ordures, ou des gaillards clairement proches de ce qu’elle devrait fuir (l’alcool restant central, et à rapprocher de son vécu paternel). La fable étrange et un brin malsaine qui traverse le livre de part en part semble un écho lointain et faussement enfantin de ce qu’elle vit : l’histoire de ce garçon moitié végétal-moitié humain, tentant par tous les moyens de sauver sa famille transformée en un gigantesque arbre se battant contre lui-même, porte des symboles que plusieurs lectures commenceront tout juste à dévoiler. Car voilà l’une des qualités majeures de ce livre bluffant : il peut se lire et se relire, selon l’envie et l’état d’esprit qui nous anime, l’angle en sera différent.
Une chose cependant ne changera pas. Le graphisme de Dillon est ébouriffant. Les illustrations précises et puissantes qui animent le conte entrent en contradiction radicale avec le reste du livre, composé d’un dessin délicat et d’une aquarelle splendidement exécutée. Les montées d’angoisse de Nao, les clash avec ses proches (amis, petit ami, famille, clients, membres de son club de Bouddhisme…) prennent des couleurs plus tranchées qui alimentent encore le sentiment d’oppression. Car Nao a beau être une jeune femme comme les autres, elle se voit folle, et nous la voyons parfois comme elle se voit elle-même. Et ce n’est pas joli-joli…
Le Nao de Brown, c’est finalement un livre sur l’acceptation de soi. Une amie très chère m’a dit, un jour où je souhaitais l’aider à se sortir de sa torpeur dépressive : « Tu as beau me connaître, avoir ma confiance, il y a une porte dans ma tête, et tu ne pourras jamais en franchir le seuil. Il y a des choses que je dois résoudre par moi-même, et tu ne pourras rien y faire, sauf me soutenir ». Cette amie n’est plus, mais cette seule phrase a résonné en moi lorsque j’ai refermé ce livre.
Notons, pour finir sur une note moins mélancolique, l’excellente qualité du travail de l’éditeur français, Akileos : la traduction, signée Achille(s), est soignée, l’ouvrage est fabriqué avec le même goût que l’édition originale, et la publication a été expresse (version originale et française sorties en 2012). Le livre, après plusieurs mois de rupture de stock chez l’éditeur, est de nouveau disponible, notamment dans votre FNAC de Lausanne. Venez le découvrir !
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