Objet étrange, qui cache sous sa couverture chatoyante une thématique ténébreuse, Le divin est l’oeuvre des frères Hanuka (dont Asaf a signé les très remarqués KO à Tel Aviv, des chroniques autobiographiques uniques en leur genre) au dessin et aux couleurs, et de Boaz Lavie dont c’est, semble-t-il, le premier scénario.
Mark, jeune salarié d’une grande entreprise, est un futur papa dont l’avenir professionnel ne semble pas reluisant. Échaudé par les promesses non tenues de son patron, il finit par accepter une pige que lui propose depuis plusieurs semaines un collègue et ami, Jason. Plusieurs dizaines de milliers de dollars, pour aller poser des explosifs dans une région reculée d’Asie du Sud-Est, et en revenir en quelques jours… Alléchant, évidemment. Mais les choses ne sont pas si simples, et cette mission en « off » du gouvernement Américain cache des secrets inavouables…
Inspiré d’une image incroyable (voir ici) et du fait divers qui s’y rattache (en Birmanie, un groupe d’enfants soldats étaient dirigés par 2 jumeaux de 12 ans, dont on disait qu’ils avaient des pouvoirs occultes), cet album est un drôle de mélange des genres. Débutant comme un thriller militaire mettant aux prises un homme idéaliste avec un entourage cynique, il part rapidement vers des contrées fantastiques et ésotériques, peuplées de dragons et d’enfants aux pouvoirs terrifiants.
Si l’histoire en elle-même n’est pas d’une originalité folle (depuis Aquablue ou Avatar, le coup de l’occident qui débarque avec ses gros sabots pour occuper et s’approprier une région dite « nécessiteuse » n’est plus vraiment une surprise), la narration et surtout les personnages rendent tout ça bien plus intéressant. Mark est un naïf qui se laisse bouffer par tout le monde (de Jason aux jumeaux) avant de prendre les choses en main. Sa femme reste sa part d’innocence, lanceuse d’alerte générant la vie. Jason, en soldat va-t-en guerre et jusqu’au boutiste, est une rengaine de l’imaginaire collectif américain. Toujours une arme à la main, il aime la violence, en imposer, et se faire payer pour ça. Il ne se pose aucune question sur les raisons qu’ont ses employeurs de l’envoyer faire ce qu’il fait, il exécute, un point c’est tout. Les jumeaux, personnages quasi bibliques et qui n’auraient pas dépareillé dans Akira, sont des représentations fiévreuses et radicales de ces conflits touchant des régions abandonnées de tous.
Quant au dessin, au graphisme, à l’esthétique en général, elle est radicale : on aime ou on déteste. Les couleurs sont violentes, brûlées, et chargent les planches d’une pression incroyable. Le coup de crayon des frères Hanuka, dont il est difficile de savoir qui a fait quoi, est à la fois fluide et brut, survolant parfois les cases, et les plombant de temps à autre. Au final, un parti pris étonnant, qui rend le bouquin unique en son genre.
Cette fable mystique risque de déconcerter par mal de lecteurs; si nous ne sommes pas ici face à une histoire réaliste ou crédible, elle n’en est pas moins cruelle et touchante. Car elle parle par symboles, par décalage, et elle secoue un peu le lecteur de sa torpeur bien pensante. Une réussite étonnante !
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