Alors que nous n’en finissons plus de fêter le centenaire du début de la Ière Guerre Mondiale, chaque éditeur y va de son projet BD. Documentaire, fiction, fresque monumentale, tout y passe. Le Lombard n’y échappe pas, évidemment. Mais comme toujours quand il s’agit de la collection Signé, on voit ici un nom reconnu (Xavier Dorison, qui étrenne sa contribution à cette prestigieuse collection), une esthétique frappante et un sujet légèrement décalé.
Engoncée dans un réseau de tranchées puantes, la section du lieutenant Kazinski survit vaille que vaille. Les batailles se suivent, absurdes, sans but, et ne semblent s’accumuler que pour la seule gloire des gradés, qui paradent en Haut Lieu en se glorifiant de telle vaine victoire, telle insignifiante défaite. Les hommes sont courageux, mais à bout. Après un énième carnage, ils mettent la main sur la pétition de la côte 108, une légende qui courait dans les rangs. Ces feuillets, signés par des milliers de soldats, met à mal l’image que les amiraux veulent donner du conflit aux civils : les soldats en ont plein les bottes, le front est un carnage sans nom, et rien, sinon un acharnement malsain et orgueilleux, ne justifie plus le sang qui coule. Convaincus d’avoir acquis la bombe qui fera sauter le gouvernement, et achèvera peut-être la guerre, ils partent dans un long voyage jusqu’à l’Assemblée, pour secouer les vieux hiboux qui les envoient à la mort…
Si Xavier Dorison collabore souvent pour écrire ses histoires, il existe une constante : son nom sur une couverture est un gage de qualité. Depuis ses débuts, rares sont les séries écrites de sa plume qui n’aient connu le succès (public ET critique), et les classiques instantanés commencent à s’empiler. Il est ici aidé d’un scénariste encore jeune, comme lui, mais déjà chevronné (comme lui itou). Emmanuel Herzet amène à ce projet sa rigueur historique, son goût pour les intrigues policières et politiques, et l’alchimie qui sort de leur plume commune est un plaisir de lecture. Bouillonnants, les personnages mis en scène ici sont puissants, vivants, racés, et le contexte extrême dans lequel ils évoluent ne modifie pas leur personnalité. Entre Pat’, le sergent bourru mais idéaliste, Larzac, le soldat usé et abîmé par les combats, Katzinski, le lieutenant tiraillé entre sa déontologie militaire et son honneur d’homme, chaque bonhomme amène son destin sur des pages qu’il contribue à écrire, à émuler, à rendre vivantes.
Cédric Babouche, de son côté, est une nouvelle pépite de la BD. Réalisateur de films d’animation, il n’avait jusqu’ici jamais apposé son nom sur un album, et il démarre fort, dans l’une des collections majeures d’un éditeur historique. Expressif et volontiers caricatural, son dessin puissant ne fait pas dans la demi-mesure, et permet autant d’identifier des personnages forts que des séquences de batailles crépusculaires. Empruntant par moment la rondeur d’un Miyazaki et la vivacité d’un manga d’action, il n’en reste pas moins rompu au découpage de la BD européenne, et met en place une esthétique qui lui est propre. Une vraie découverte, en tout cas, et un talent à suivre…
Ce premier tome est une claque, puissante et frondeuse, qui se voudrait presque la réponse dessinée au film Les Sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick. Anti-militariste convaincue, cette histoire s’achèvera avec son second volume, et le lecteur croisera les doigts jusqu’à sa sortie pour que la magie de ce tome 1 perdure…
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