Nicolas De Crécy, c’est l’un des créateurs majeurs, et rares, de la BD française. De son graphisme singulier et virtuose, il a déjà raconté la folie, l’incompréhensible, l’absurde, et semblait depuis quelques années s’être retiré du petit monde de la narration graphique pour se tourner vers les salles d’exposition huppées. Mais en 2014, il est contacté par les éditeurs de l’Ultra Jump, magazine mensuel majeur des éditions Shueisha, qui a vu passer dans ses pages des séries aussi prestigieuses que Gunnm Last Order, Jojo’s Bizarre Adventure ou Bastard!! Ceux-ci souhaitent en effet faire découvrir aux lecteurs japonais l’inventivité occidentale, et lui ouvrir leurs pages sans limite de genre ou d’univers. Ainsi se lance une publication mensuelle résolument De Crécy-esque, à la croisée de Prosopopus ou Salvatore… La république du catch était née !!
Mario est un tout petit vendeur de pianos. Rejeton malingre d’une lignée de mafieux de haut calibre, il mène sa petite vie pépère, loin des passions de sa famille : l’argent, les femmes et la violence. Ses cousins sont en effet à la tête de la République du Catch, championnat populaire peuplé de combattants monumentaux, qui font aussi les gros bras pour Enzo, le chef de clan, un bébé bien précoce… Mario ne mange pas de ce pain là, et sa discrétion lui permet jusqu’ici de passer entre les gouttes. Accompagné de son ami manchot joueur de piano virtuose, il n’a qu’un seul regret : ne jamais avoir connu l’amour d’une femme. Et Bérénice, la belle Bérénice, catcheuse émérite, est bien la dernière qui pourrait se laisser charmer par un nabot tel que lui…
Lire De Crécy, c’est prendre le risque de se laisser déborder de toute part. Par un imaginaire débridé, évidemment : pingouin pianiste, héros minuscule, méchant réduit à une tête roulante, mafieux en couche culotte, l’auteur se permet absolument tout, dans un esprit proche du surréalisme et de l’écriture automatique. Mais certaines thématiques sont récurrentes, dans son œuvre, et se retrouvent ici : la recherche de l’Amour, et l’oppression ressentie dans une ville écrasante. Mario est une ombre, un faible, qui ne souhaite rien tant qu’une petite vie bien rangée, et une âme sœur, ce après quoi nous aspirons tous, à la vérité. Forcé à lever la tête et à se rebeller face aux puissants, Mario va trouver un soutien inattendu auprès des marginaux de ce monde, des losers, des fantômes dont les échecs sont aussi la force. Comme toujours avec De Crécy, difficile de savoir réellement quel sens donner à la fin. Le lecteur peut se sentir floué, celle-ci étant du genre ouverte, ou au contraire remercier l’auteur, car l’important est bien dans le voyage, et pas la destination.
Du côté esthétique, on retrouve le coup de griffe du dessinateur génial de Salvatore ou Monsieur Fruit. Pas aussi poussé donc que Le bibendum céleste ou Prosopopus, mais d’une fluidité narrative jubilatoire. D’un trait libre et en constant renouvellement, De Crécy déroule des pages répondant aux codes habituels des manga (entre 2 et 6 cases par page, pas plus, un découpage plus proche du story board que d’un gauffrier, des cases de formes et de tailles très variées, des séquences d’action pétaradantes), et conserve son identité sans le plus petit début de renoncement.
Un exercice de style jubilatoire, mené de main de maître, et qui ne donne qu’une envie : vite, la suite !! (S’il vous plaît ?)
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