Le Lézard Noir est l’éditeur qui a fait découvrir au public francophone des auteurs du calibre de Suehiro Maruo ou Takashi Fukutani, amenant le lectorat adulte vers des manga qui n’auraient jamais trouvé leur place ailleurs (ou alors chez IMHO, éditeur ayant la même sensibilité, et éventuellement chez Casterman/Sakka ou Akata). Pour une fois, il ne défriche pas le travail d’un auteur, avec ce recueil de nouvelles, mais nous fait aborder les histoires les plus étranges et les plus malsaines de Kazuo Umezu, qui fut déjà publié chez Glénat avec sa géniale série L’école emportée.
Ce livre regroupe 7 histoires courtes, écrites et dessinées entre 1968 et 1973. La maison des insectes, qui donne son nom au recueil, est la plongée dans la vie d’un couple apparemment bien sous tout rapport. Mais les infidélités et la jalousie conjuguées du mari semblent avoir raison de la santé mentale de sa compagne. Ou bien est-ce l’inverse ?… Les yeux est la description d’un rapport biaisé entre une femme et son mari. Elle qui se veut aimante et d’une fidélité absolue trompe son mari, et est hanté par son acte mais surtout par le fait qu’une jeune voisine l’a surprise en plein acte… La bougie semble un artefact magique, qui permettra à un homme accusé injustement de meurtre, et prêt à être exécuté, de vivre une autre vie, une vie heureuse, en accéléré… Le lien est celui qui se tisse dès l’adolescence entre un jeune garçon et celle qui devient son grand amour. Mais alors qu’ils espèrent se marier rapidement, un accident laisse la jeune femme clouée au lit, dans le coma. Son compagnon, malgré son jeune âge, sacrifiera tout pour s’occuper d’elle, quitte à oublier sa propre vie. L’escalier en colimaçon raconte cette ambition qui dévore une jeune chanteuse sans grand talent. Se berçant d’illusions, elle se jette à corps perdu dans tout ce qui pourra la rapprocher du succès, perdant en même temps tout lien avec sa vie d’avant. Elle suit avec une attention obsessionnelle la carrière naissante d’une jeune idole, et finit par se rapprocher de son agent. Jusqu’où est-elle prête à aller pour la gloire ?.. La tête est celle d’une jeune femme qui subit les affres d’un mariage arrangé. Cachant de moins en moins sa répulsion vis à vis de son mari, elle se moque de sa jalousie et de son amour. Pris d’une pulsion irrépressible, le mari retrouve sa femme volage, et l’écrase avec sa voiture. Mais lorsqu’il retourne le corps, la tête a disparu… La fin de l’été est le portrait de la vie d’une jeune et jolie femme, qui se marie avec un bellâtre pour de mauvaises raisons, et le regrette toute sa vie. Au crépuscule d’une existence malheureuse, elle semble obtenir une seconde chance et peut épouser l’ami de son mari, celui qui lui avait plu d’emblée lorsqu’ils avaient passé un été ensemble, tous les trois…
Lire Umezu, c’est se confronter à l’Histoire du manga, comme lorsqu’on lit Ishinomori, Tezuka ou Mizuki. Mais là où ses camarades de jeu ont touché le grand public en versant dans le manga historique, le folklore ou la science-fiction, lui s’est spécialisé dans l’angoisse et l’étrange. Inspirateur d’un genre depuis pérennisé par Junji Itô ou Hideshi Hino, il signe ici quelques histoires qui conservent un impact étonnant, 40 ans après leur création. Plus proche de la psychanalyse que de la terreur fantasque, il parle du couple, de l’aliénation qui frappe l’humain lorsqu’il lie son destin à celui d’un autre. Jalousie, tromperie, meurtre, les rouages sont implacables, et amènent les personnages vers une folie tout sauf passagère. Personne ne trouve grâce à ses yeux, hommes et femmes sont pareillement torturés et coupables, et le destin de ses héros est tragique, invariablement.
Son graphisme, fin et délicat, rappelle avec insistance celui d’Ito, qui semble être son plus fidèle disciple (le goût pour le grotesque en plus). Ses aplats de noir, violents et sans nuance, écrasent la délicatesse des personnages, et leurs expressions frappent la rétine avec la force d’une photo. Sans équivoque, Umezu est un auteur sombre, qui ne voit en l’humain que ses failles et ses lâchetés, et leur offre un écrin à la mesure de leur médiocrité.
Un livre désespéré mais brillant, qui porte parfois la patine de l’âge, mais reste un moment de plaisir redoutable au milieu d’une production parfois aseptisée…
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