Les Arènes sortent peu de BD, c’est un fait. Aussi, lorsqu’ils décident de publier un roman graphique américain, on jette un œil, plus par curiosité qu’autre chose. Le problème ? C’est un best-seller monstrueux aux USA, tiré du blog d’une auteur surdouée et dépressive, dont la page Facebook compte plus de 500.000 like. Quid ? Est-ce encore un épiphénomène éditorial purement américain, insoluble de ce côté de l’Atlantique, ou tient-on un vrai chef d’œuvre (ou au moins un vrai bon bouquin) ?
Jeune femme brillante et légèrement décalée, Allie Brosh tient un blog depuis quelque temps, qui mixe avec bonheur auto-psychanalyse, souvenirs délirants, portraits souvent déjantés de ses amis, de ses chiens, de sa famille. Et puis évidemment, ses longues digressions, qui partent en général de ses souvenirs d’enfance, et en arrivent à nous dévoiler les rouages de ses névroses, de ses périodes les plus difficiles, et la façon dont, vaille que vaille, sans vraiment savoir comment, elle s’en est sortie (jusque là).
Commençons par ce qui fâche : Allie Brosh a un dessin… Différent. Volontiers grimaçant et déstructuré, il ne brille pas par son réalisme et le soin qui lui est apporté. L’auteur l’utilise comme un outil de simplification, de décalage ou de surprise : son texte, d’une belle qualité, est ainsi détourné, bousculé par les dessins, qui tombent toujours juste. Ce qui pourrait être un accident si ça fonctionnait une fois sur deux est ici une révélation : avec ses traits tordus, ses couleurs criardes, son aspect très « paint pour les nuls », l’auteure est tout simplement drôle.
Concernant le texte, eh bien… On est face à un roman autobiographique, ponctué d’illustrations. Brosh est probablement aux frontières de l’autisme, ses délires d’enfant étant particulièrement étranges, mais toujours extrêmement cohérents, dans leur propre logique. Sa vision du monde est singulière, elle qui ne fait pas vraiment de distinction entre son univers intérieur, son imaginaire, et le monde réel. Ou qui ne veut pas en faire. Et puis ses chiens… Que dire de ses chiens ? Deux créatures imbéciles, l’une attachante de bêtise, l’autre d’une méchanceté difficilement conciliable avec une quelconque vie sociale. Mais sa simple façon de raconter leurs aventures fait sourire, et par moments, rire. Mais pas d’un rire gras, ou moqueur : page après page, on est pris dans le tourbillon de ses délires, à travers le prisme de cette jeune auteur au ton si singulier.
Et évidemment, si on rit beaucoup, par moment, on fronce les sourcils. Notamment sur ce long chapitre dédié à sa dépression, qu’elle déroule comme une chronique bizarre et incohérente, dont l’évolution reste pour elle une énigme. Les déclics sont là, mais ne semblent correspondre à aucune logique. Reprendre contact avec les autres parce que, d’un coup, on doit absolument rendre des DVD loués (plusieurs mois avant). Retrouver le sourire, et le rire, parce qu’en pleine crise de rampement (et donc au fond du fond du trou), on voit un grain de maïs desséché sous le frigo… Toutes ces bizarreries qui appartiennent à l’intime, et qui nous sont ici donnés à découvrir. Mais sans exhibitionnisme, sans gêne non plus : tout est tourné en dérision, sans cruauté, avec cette justesse parfois glaçante des gens qui s’observent comme ils observent une étrange créature à laquelle ils ne comprennent pas tout.
Hyperbole, c’est tout ça à la fois, et bien plus. C’est drôle, c’est flippant, c’est juste… Et probablement l’un des bouquins les plus étonnants et les plus jubilatoires de l’année ! Un test, si vous pensez ne pas apprécier (parce que oui, le dessin, ce n’est pas vraiment du Juillard ou du Lauffray) : lisez la préface. Si elle vous laisse de marbre, reposez le bouquin, il ne vous parlera jamais. Mais si, comme moi probablement, vous vous reconnaissez dans ces histoires frappadingues et absurdes, foncez !
Si vous aimez, et qu’il vous en faut plus, son blog est toujours en ligne ! Mais en anglais… Et à la demande générale de Noémie, lectrice de ce blog, il semble tout à fait légitime de nommer la traductrice de ce livre, qui a fait un fort bon travail : Carole Delporte. Que ce soit dit et su !
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