Feu de paille est un album signé Adrien Demont, un auteur déjà repéré avec Ballades et surtout Tournesols. Il est cette fois édité chez 6 Pieds sous terre, petit éditeur au catalogue exigeant.
Joseph se remet tout juste d’un accident de voiture, et des opérations qui lui ont sauvé la vie. Il décide de retourner, avec sa petite famille, dans la maison de son enfance. Dès son arrivée, les souvenirs jaillissent, et quelques bizarreries se font jour… Rapidement, son fils Pierre se fait des amis dans le voisinage, et découvre les légendes qui parcourent cette région reculée…
Dès les premières planches, le lecteur est surpris par le trait et le graphisme singuliers de Demont : ses verticales puissantes et souvent légèrement penchées, ses plans larges laissant découvrir une ambiance lourde et balayée par les vents, ses hachures maniaques, ses personnages à l’esthétique oscillant entre Giacometti et Fred… Le style peut rebuter, mais met en condition pour découvrir cet univers hors du temps, profondément fantastique. Car si Joseph est un père de famille d’apparence ordinaire, il a subi plusieurs opérations complexes qui lui donnent l’impression d’être devenu un cyborg. Il a depuis des crises de somnambulisme récurrentes, qui effraient sa compagne et lui font parcourir des lieues durant la nuit. Si quelques petits éléments laissent à penser que nous découvrons là une histoire légèrement futuriste (le robot à tout faire qui imprime le journal à la demande, le petit garçon faisant du vélo qui est un robot lui aussi), l’immuable est de la partie : ce lieu reculé, presqu’abandonné du monde moderne, est régi par les légendes qui se transmettent de génération en génération. Un gamin survit à l’attaque d’une ruche et devient immunisé aux piqures d’abeilles ? Une légende est née !
La dernière légende à la mode ? Un personnage longiligne, couvert de paille et ressemblant à un épouvantail, parcourt les campagnes, et effraie la population. Fasciné par cette idée, Joseph parcourt la région de nuit, pensant qu’il pourrait bien s’agir d’Hugo le barjot, son ami d’enfance bizarre et asocial, qu’il n’a pas revu depuis des années. Mais une battue s’organise…
La poésie et la cruauté d’un conte pour enfants se mêle ici à une forme de psychanalyse, pour un personnage en pleine recherche identitaire. Le retour aux sources qu’il s’impose offre la possibilité à son fils de faire ses propres expériences, et lui laisse espérer être toujours un humain dans une société robotisée et écrasée de modernisme (la centrale nucléaire de la région, source de bien des fantasmes, n’est pas anodine). L’ennui d’un été sans civilisation ouvre aussi les œillères de l’imagination, et fait retomber en enfance le plus stable des pères de famille…
Et puis dans tout ça, Buck le chien perdu, clébard-tortue portant sa niche sur son dos, qui se mue en chien de garde, et aboie après l’apparition déguenillée qui sème des brins de paille, nuit après nuit.
Un ouvrage sensible et étrange, qui amène l’absurde et la bizarrerie dans une histoire de famille d’apparence banale, et nous rappelle que l’inconnu reste une source d’effroi bien plus puissante que le plus horrible des monstres ou des carnages. Une réussite !
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